La Loi sur Investissement Canada
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
14 décembre 2023
Chers collègues, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-34, Loi modifiant la loi sur Investissement Canada, dont le titre abrégé, Loi sur la modernisation de l’examen des investissements relativement à la sécurité nationale, est plus long que le titre du projet de loi.
Ce projet de loi, qui a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit, contient des modifications de fond et de forme à la loi actuelle. De plus, on y a inclus plusieurs amendements très techniques qu’il serait, à mon avis, inopportun de traiter à l’étape de la deuxième lecture de ce projet de loi. Ce sera au comité qui étudiera ce projet de loi d’accorder toute l’attention requise à l’ensemble de ses dispositions.
Permettez-moi tout d’abord de situer ce projet de loi en faisant un bref rappel historique de son origine.
C’est sous le gouvernement conservateur dirigé par l’honorable premier ministre Brian Mulroney que la Loi sur Investissement Canada a été adoptée pour la première fois. À l’aube des négociations internationales visant à paramétrer le commerce international et désireux de stimuler l’économie canadienne et de favoriser l’arrivée de nouveaux capitaux étrangers, le gouvernement de l’époque a voulu logiquement encadrer les investissements étrangers et établir des mécanismes prévisibles et transparents d’autorisation de ces investissements et de protection de la sécurité nationale. Adopté le 20 juin 1985, l’objectif principal du projet de loi se lisait comme suit :
Étant donné les avantages que retire le Canada d’une augmentation du capital et de l’essor de la technologie et compte tenu de l’importance de préserver la sécurité nationale, la présente loi vise à instituer un mécanisme d’examen des investissements importants effectués au Canada par des non-Canadiens de manière à encourager les investissements au Canada et à contribuer à la croissance de l’économie et à la création d’emplois, de même qu’un mécanisme d’examen des investissements effectués au Canada par des non-Canadiens et susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.
On a assisté ensuite aux négociations internationales sur le commerce, qui se sont déroulées de 1986 à 1994 et qui ont conduit à l’adoption de l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, accord signé à Marrakech en avril 1994. En décembre de la même année, le gouvernement fédéral a fait adopter la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce.
Par la suite, en 2009, toujours sous un gouvernement conservateur, mais cette fois dirigé par l’honorable premier ministre Stephen Harper, la Loi sur Investissement Canada a été modernisée au moyen du projet de loi C-10, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 janvier 2009 et mettant en œuvre des mesures fiscales connexes. C’était la première fois que la Loi sur Investissement Canada recevait une sérieuse cure de jouvence depuis son adoption initiale en 1985. Le contexte mondial ayant fortement changé en 25 ans et les avancées technologiques ayant pris un essor exceptionnel, la Loi sur Investissement Canada devait forcément suivre la parade et s’adapter à la réalité du XXIe siècle.
Quatorze ans se sont écoulés depuis cette dernière mise à jour de la Loi sur Investissement Canada. Compte tenu de l’extrême rapidité avec laquelle des changements s’opèrent en matière de commerce international, et en raison de nombreux enjeux géopolitiques sensibles et des avancées technologiques qui se produisent à vitesse grand V, une nouvelle mouture de la Loi sur Investissement Canada devenait incontournable. C’est ce qui explique que nous sommes saisis aujourd’hui du projet de loi C-34, qui est parrainé au Sénat par mon collègue l’honorable Clément Gignac.
Si l’on doit donner un exemple d’enjeux géopolitiques sensibles, toute la question de l’ingérence étrangère de certains pays dans les affaires canadiennes nous invite à redoubler de vigilance. Certaines transactions, en particulier celles qui impliquent un investisseur étatique ou influencé par un État, peuvent être motivées par des impératifs non commerciaux nuisibles à la sécurité nationale du Canada. La Russie et la Chine notamment sont de plus en plus agressives dans ce domaine. Ces deux pays essaient de pénétrer notre marché, aussi bien ouvertement que par des moyens parfois détournés. Nous devons être très vigilants à cet égard.
Venons-en maintenant au cœur du projet de loi C-34. Je vais survoler certains aspects du projet de loi sans m’attarder à toutes ses dispositions. D’ailleurs, en ce sens, le sénateur Gignac a fait un exposé très éclairant sur le projet de loi C-34 lors de son allocution à l’étape de la deuxième lecture le 23 novembre dernier.
Le projet de loi C-34 modifie la Loi sur Investissement Canada dans le but de renforcer la compétence du gouvernement du Canada pour détecter, examiner et limiter les investissements étrangers qui sont proposés et qui sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale du Canada.
Essentiellement, il vient resserrer les contrôles de sécurité entourant les investissements étrangers, notamment en établissant une nouvelle exigence de dépôt préalable pour certains investissements; en améliorant l’efficacité du processus d’examen des risques pour la sécurité nationale, notamment en élargissant et en précisant les domaines d’activité couverts par la loi; en augmentant les pénalités pour les cas de non-conformité aux dispositions de la Loi sur Investissement Canada; en ouvrant la possibilité d’imposer des conditions provisoires à l’égard d’un investissement; en ouvrant également la possibilité d’imposer des engagements contraignants de la part des investisseurs; en permettant au Canada de communiquer à d’autres pays des renseignements relatifs à une affaire en particulier, dans le but de protéger des intérêts communs en matière de sécurité; enfin, en instaurant de nouvelles dispositions pour la protection des renseignements dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions.
Honorables sénateurs, j’ai mentionné au début de mon intervention que le projet de loi C-34 a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit. Je dois tout de même souligner qu’un travail minutieux a été fait au Comité permanent de l’industrie et de la technologie, qui a étudié ce projet de loi. Plusieurs amendements y ont été débattus et adoptés.
Les députés du Parti conservateur ont participé à cette démarche avec sérieux.
Premièrement, le gouvernement était prêt à adopter un projet de loi qui aurait donné carte blanche aux investissements des entreprises d’État, quelles que soient leurs relations avec le Canada. Lorsque le gouvernement a présenté ce projet de loi, celui-ci ne contenait aucune disposition exigeant que tout investissement d’une entreprise d’État soit soumis automatiquement à un examen relatif à la sécurité nationale. Notre amendement ramène à zéro le seuil de déclenchement d’un examen établi à 512 millions de dollars, ce qui revient à exiger que tous les investissements d’entreprises d’État au Canada fassent l’objet d’un examen au titre de la sécurité nationale.
Deuxièmement, les conservateurs ont présenté un amendement selon lequel l’acquisition de tout actif par une entreprise d’État serait soumise à un examen dans le cadre du processus d’examen de la sécurité nationale. Cet amendement garantit que non seulement les nouveaux établissements commerciaux, les acquisitions et les achats d’actions, mais aussi tous les actifs sont pris en compte dans le cadre de cet examen, ce qui représente un autre très bon amendement au projet de loi.
Troisièmement, lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi, celui-ci ne prenait pas en compte les préoccupations concernant les entreprises ayant déjà été condamnées pour corruption. L’amendement des conservateurs exige qu’un examen automatique au titre de la sécurité nationale soit effectué chaque fois qu’une entreprise ayant fait l’objet d’une condamnation par le passé est en cause.
Enfin, le gouvernement aurait été heureux d’adopter un projet de loi accordant plus d’autorité et de discrétion au ministre, et ce, malgré les nombreuses bévues commises au cours des huit dernières années, où l’on n’a pas pris au sérieux les menaces réelles posées par certains investissements étrangers. Le projet de loi initial aurait laissé au ministre le soin de décider de déclencher ou non un examen au titre de la sécurité nationale lorsque le seuil est atteint. L’amendement conservateur a remédié à cette lacune et a rendu l’examen obligatoire, plutôt que facultatif, lorsque le seuil de 1,9 milliard de dollars est atteint.
Ces amendements ont été présentés et acceptés par la Chambre.
Naturellement, plusieurs autres n’ont pas franchi l’étape du comité et ont donc été battus. L’un de ceux-ci me préoccupe particulièrement.
Dans la Loi sur Investissement Canada, au paragraphe 25.3(1), il est stipulé ce qui suit :
L’investissement est sujet à l’examen au titre de la présente partie si le ministre, après consultation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, est d’avis que l’investissement pourrait porter atteinte à la sécurité nationale et que le gouverneur en conseil prend, sur recommandation du ministre et dans le délai réglementaire, un décret ordonnant l’examen de l’investissement.
Or, la disposition à ce sujet dans le projet de loi C-34 supprime l’étape du décret du gouverneur en conseil figurant dans la Loi sur Investissement Canada, qui conférait la responsabilité au « [...] membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé par le gouverneur en conseil de l’application de la présente loi ».
En d’autres mots, on parle ici du ministre. Le projet de loi C-34 dit toutefois ce qui suit, et je cite :
[...] autoriser le ministre de l’Industrie, après consultation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, à imposer des conditions provisoires à l’égard des investissements pour prévenir les atteintes à la sécurité nationale qui pourraient survenir pendant l’examen;
On pourra « [...] exiger, dans certains cas, que le ministre de l’Industrie prenne un arrêté prolongeant l’examen [...] ».
Il me semble que c’est se soustraire à la responsabilité gouvernementale d’éluder ainsi l’étape du Conseil des ministres. C’est confier à une seule personne des décisions importantes et potentiellement préjudiciables pour les intérêts du Canada et de sa population. J’inviterais donc respectueusement le comité qui étudiera le projet de loi C-34 et le parrain du projet de loi à examiner de façon toute particulière cet enjeu de la responsabilité gouvernementale.
C’est d’autant plus important que récemment, nous avons eu un triste exemple des incuries qui peuvent se produire en matière de sécurité nationale lorsque certaines mesures de sauvegarde ne sont pas mises en place.
En 2017, une entreprise nommée Norsat s’est établie — et elle l’est toujours — en Colombie-Britannique. Elle possède également l’entreprise Sinclair, à Toronto. Elle a été achetée par Hytera, une entreprise qui appartient en partie au gouvernement chinois et qui œuvre dans le secteur crucial des télécommunications. Malgré les appels répétés qui lui étaient adressés à la Chambre des communes, le ministre de l’Industrie de l’époque a refusé de mener un examen de sécurité nationale sur cette acquisition. Par conséquent, aucun examen de sécurité nationale n’a été effectué.
En janvier 2022, Hytera a fait l’objet de 21 chefs d’accusation d’espionnage aux États-Unis, et le président Biden a interdit à l’entreprise de faire des affaires aux États-Unis par la suite.
Pourtant, huit mois plus tard, la GRC a acheté du matériel de radiofréquence pour l’intégrer au système de communication, ce qui a permis aux filiales d’entreprises d’État chinoises d’avoir accès à tous les emplacements des services de communication de la GRC.
Aucun examen de sécurité publique nationale n’a été mené à ce sujet. Fait consternant, Services publics et Approvisionnement Canada a confirmé que les préoccupations en matière de sécurité n’avaient pas été prises en compte lors du processus d’appel d’offres pour cet équipement. Il y a de quoi s’alarmer. Les libéraux n’ont pas non plus consulté le Centre de la sécurité des télécommunications de leur propre gouvernement au sujet du contrat.
Le contrat a plutôt été attribué au plus bas soumissionnaire. La question des claims miniers vaudrait aussi la peine d’être examinée plus attentivement. Sauf pour le pétrole et le gaz, c’est par claim qu’on acquiert au Canada le droit de mettre en valeur un gisement faisant partie du domaine de l’État, qu’on soit en territoire fédéral ou provincial. Le projet de loi C-34 institue des seuils en deçà desquels des examens exhaustifs et des examens de sécurité ne seront pas obligatoires.
Comment s’articulera le projet de loi C-34 relativement à des claims qui ont une valeur insignifiante, tant et aussi longtemps qu’un gisement d’une ressource recherchée et critique ne sera pas découvert? Comment le projet de loi C-34 viendra-t-il se coordonner avec la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques? Honnêtement, chers collègues, j’ai posé des questions de cet ordre aux fonctionnaires lors d’un breffage technique et je suis resté sur ma faim. Je crois que le comité qui étudiera le projet de loi C-34 devrait explorer cet aspect important, qui a des conséquences économiques et géostratégiques potentielles pour le Canada. La question est assez simple : sommes-nous disposés à laisser filer nos ressources naturelles vers des compagnies ou des puissances étrangères?
Chers collègues, ce sont les quelques observations que je souhaitais vous soumettre sur le projet de loi C-34. Évidemment, étant donné que nous en sommes à la deuxième lecture et que ce projet de loi a été adopté unanimement par nos collègues de l’autre endroit, je vais vous recommander d’adopter le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture pour le renvoyer à un comité du Sénat pour étude. Merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)