Aller au contenu

Le Sénat

Motion exhortant le gouvernement à inviter les parties actuelles à l'Acte de la Conférence internationale sur le Vietnam à réunir de nouveau la Conférence internationale sur le Vietnam--Suite du débat

29 juin 2021


L’honorable Thanh Hai Ngo [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet d’une question d’une grande importance : ma motion exhortant le gouvernement du Canada à inviter au moins six des parties actuelles à l’Acte de la Conférence internationale sur le Vietnam à réunir de nouveau la Conférence internationale sur le Vietnam.

Dans le but de mettre fin à la guerre du Vietnam et d’en venir à une résolution durable du conflit, l’Accord sur la cessation de la guerre et le rétablissement de la paix au Vietnam et ses protocoles, communément appelés les Accords de paix de Paris, ont été signés par les États‑Unis, la République du Vietnam, appelée Sud‑Vietnam, la République démocratique du Vietnam, appelée Nord‑Vietnam, et le gouvernement révolutionnaire provisoire du Vietnam, appelé Viêt‑cong, le 27 janvier 1973, à Paris.

Les Accords de paix de Paris prévoyaient notamment un cessez‑le‑feu dans l’ensemble du Vietnam, l’interdiction de l’introduction de matériel de guerre et de troupes militaires dans le Sud-Vietnam et la création de la Commission internationale de contrôle et de surveillance pour suivre la mise en œuvre de dispositions précises des accords.

Conformément à l’article 19 de l’accord, du 26 février au 2 mars, une deuxième conférence internationale a été organisée à Paris. Elle a notamment établi les règles de conduite de la commission et ses mécanismes de reddition de comptes pour soutenir la mise en œuvre de l’entente.

La conférence a pris fin le 2 mars 1973, par la signature de l’Acte de la Conférence internationale sur le Vietnam, appelé l’Acte, où les signataires des Accords de paix de Paris et huit autres pays — soit le Canada, la France, la Hongrie, l’Indonésie, la Pologne, le Royaume-Uni, l’Union soviétique et la Chine — ont promis qu’à l’avenir, ils allaient non seulement respecter et appuyer les modalités de l’Acte, mais aussi se conformer à ses dispositions, y compris celles ayant trait à l’ingérence étrangère. L’Acte de même que les Accords de paix de Paris ont été enregistrés auprès du Secrétariat des Nations unies le 13 mai 1974.

Outre les nombreux soldats canadiens qui sont décédés dans la guerre du Vietnam, le Canada a participé de façon significative aux efforts déployés pour assurer une paix durable au Vietnam.

Il a fait partie de la première Commission internationale de surveillance et de contrôle au Vietnam, établie par les accords de Genève en 1954.

Il a fait partie de la seconde Commission internationale de contrôle et de surveillance, établie par les Accords de paix de Paris, et a envoyé des forces de maintien de la paix en 1973 afin de surveiller si les modalités étaient respectées et les dispositions mises en application. Plus important encore, il a été signataire de l’Acte.

En tant qu’un des signataires de l’Acte, le Canada a joué un rôle de surveillance intégral dans l’effort visant à appuyer la paix. Dans le cadre de la Commission internationale de contrôle et de surveillance — aux côtés de la Pologne, de la Hongrie et de l’Indonésie, qui étaient à l’époque des pays communistes et une dictature, respectivement —, il a apporté des contributions essentielles en menant des enquêtes et en surveillant le respect du cessez-le-feu, du retrait des troupes et du retour du personnel militaire et civil capturé.

Malheureusement, le rôle du Canada a été rendu difficile par le fait que le Canada était le seul pays démocratique membre de la Commission internationale de contrôle et de surveillance — les quatre pays devaient accepter à l’unanimité d’enquêter sur les violations. Pendant la période où il a été membre de la commission, au moins 18 000 violations du cessez-le-feu ont été signalées. Au cours de cette même période, seulement 1 081 plaintes ont fait l’objet d’une enquête par la commission.

Malgré l’invasion subséquente du Sud-Vietnam par les forces communistes du Nord-Vietnam en 1975, en violation complète des Accords de paix de Paris et de l’Acte de la Conférence internationale sur le Vietnam, je crois que ces documents demeurent des outils diplomatiques valables pour le règlement des différends entre les parties signataires découlant de violations de leurs dispositions.

Je souhaite attirer votre attention sur les articles 7(a) et 7(b) de l’Acte, qui procurent un mécanisme utile de règlement des différends au cas où les dispositions des Accords de paix de Paris ne seraient pas respectées.

L’article 7(a) permet aux parties de déterminer les mesures correctives nécessaires en cas de violation des Accords de paix de Paris :

[...] qui menace la paix, l’indépendance, la souveraineté, l’unité ou l’intégrité territoriale du Viet-Nam, ou le droit de la population sud-vietnamienne à l’autodétermination [...]

L’article 7(b) dit :

La Conférence internationale sur le Viet-Nam sera convoquée de nouveau sur demande conjointe du Gouvernement des États-Unis d’Amérique et du Gouvernement de la République démocratique du Viet-Nam au nom des parties signataires de l’Accord ou à la demande de six au moins des parties au présent Acte.

Le Canada a intérêt à continuer de soutenir la stabilité, la paix et la démocratie en Asie. À cette fin, il revient au gouvernement du Canada de demander à au moins six des parties actuelles à l’Acte d’accepter de reconvoquer la Conférence internationale sur le Vietnam.

Nous disposons d’arguments convaincants qui indiquent qu’il y a un motif suffisant pour invoquer l’article 7b) de la loi et ainsi convoquer ladite conférence.

Le 23 avril 2015, la Loi sur la Journée du Parcours vers la liberté a été adoptée. Les deux premiers paragraphes du préambule reconnaissent la participation des Forces canadiennes pour aider à assurer le respect des Accords de paix de Paris et l’invasion du Vietnam du Sud par l’armée populaire vietnamienne et le Front national de libération, en 1975. Au vu de ces deux premiers paragraphes, le Parlement du Canada déclare sans équivoque qu’il y a eu violation de l’Accord de Paris sur la cessation de la guerre et le rétablissement de la paix au Vietnam et de ses protocoles, ainsi que de l’Acte de la Conférence internationale sur le Vietnam.

Non seulement les Accords de paix de Paris ne comprennent pas de disposition permettant aux parties d’y mettre fin, mais en plus, la Convention de Vienne sur le droit des traités — qui fournit des mécanismes aux États pour se retirer de traités, les interrompre ou les suspendre — ne peut pas s’appliquer dans ce cas, étant donné qu’elle est entrée en vigueur après les Accords de paix de Paris. L’article 4 de la Convention de Vienne sur sa non-rétroactivité fait qu’il est impossible de l’invoquer. En outre, les États-Unis ne l’ont jamais ratifiée.

En outre, lorsque les États-Unis et le Vietnam ont décidé d’établir des relations diplomatiques après la chute de Saigon et la réunification du Sud-Vietnam et du Nord-Vietnam, des déclarations publiques faisant référence aux Accords de paix de Paris ont été faites par leurs représentants respectifs, suggérant ainsi qu’ils pourraient être considérés comme toujours en vigueur, du moins en partie.

Comme c’est le cas pour les Accords de paix de Paris, l’Acte ne contient pas de disposition de dénonciation ou de caducité relativement à son application.

En outre, comme la Convention de Vienne sur le droit des traités est entrée en vigueur après l’Acte, la Convention ne s’applique pas non plus à l’Acte. Contrairement aux Accords de paix de Paris, où le droit international coutumier permet difficilement de donner une réponse claire et concluante en raison de l’ambiguïté de son statut, dans ce cas particulier, il faut se tourner vers le droit international coutumier pour interpréter l’Acte. Une telle interprétation impliquerait que l’Acte continue d’être en vigueur, puisqu’il prévoit expressément un mécanisme permettant de convoquer à nouveau la conférence internationale sans que les États-Unis et le Vietnam en fassent conjointement la demande.

Par conséquent, l’Acte continue d’être contraignant pour les huit autres pays signataires. En outre, il figure sur la liste des traités et accords multipartites du Département d’État américain comme étant toujours en vigueur au 1er janvier 2020, et le Canada y figure toujours comme l’une des parties.

Pour réunir de nouveau la Conférence internationale sur le Vietnam, aux termes de l’alinéa 7b), in fine, le Canada, la France, la Hongrie, l’Indonésie, la Pologne, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine — des pays démocratiques pour la plupart, y compris la Hongrie, l’Indonésie et la Pologne, ce qui n’était pas le cas à l’époque — doivent être considérés comme étant les parties actuelles à l’acte. Pour que la conférence internationale puisse être réunie de nouveau, au moins six de ces parties doivent donner leur accord.

Autre solution : toujours aux termes de l’alinéa 7b), in limine, la conférence pourrait être réunie de nouveau si les États-Unis et le Vietnam le demandent conjointement, pourvu que le Vietnam affirme clairement son intention de permettre au Nord-Vietnam de continuer de participer à l’acte.

Ultimement, s’il y a consensus entre les parties concernant l’applicabilité des Accords de paix de Paris, ces derniers pourraient être rouverts et renégociés. C’est la même chose dans le cas de l’acte; il pourrait servir à permettre à la conférence internationale d’être réunie de nouveau en accord avec l’alinéa 7b).

En outre, lors d’une rencontre organisée au Nixon Center à Washington le 24 avril 1988 sur le thème du Vietnam et de la signification contemporaine des Accords de paix de Paris, l’ex-secrétaire d’État américain, Henry Kissinger, a affirmé ceci :

[...] un accord qu’on n’a pas à faire respecter est simplement une capitulation; il ne s’agit que des termes de la capitulation. Cela n’a jamais été notre intention.

Tous les principaux membres de l’Administration — y compris moi-même, le secrétaire à la Défense et le secrétaire d’État — figurent dans les recueils des déclarations publiques qui répétaient, toutes les deux semaines, que nous avions l’intention de faire respecter l’accord. Cela n’avait rien de nouveau.

Par ailleurs, convoquer de nouveau la conférence internationale pourrait s’avérer un mécanisme fort utile pour lancer des négociations sur certains des enjeux géopolitiques les plus pressants en Asie, comme le conflit territorial en mer de Chine méridionale. Les articles 4 et 5 de l’acte indiquent que ses signataires, y compris la Chine :

[...] reconnaissent solennellement et respectent strictement les droits nationaux fondamentaux du peuple vietnamien, à savoir l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Viet-Nam, ainsi que le droit de la population sud-vietnamienne à l’autodétermination. Les parties au présent Acte respecteront strictement l’Accord et les Protocoles en s’abstenant de toute action qui ne serait pas conforme à leurs dispositions.

En 1974 et en 1988, la Chine a envahi des îles vietnamiennes, d’abord les îles Paracel puis les îles Spratly. Ces invasions contreviennent aux dispositions de l’acte, ce qui permet à tout pays signataire de convoquer la conférence internationale de nouveau, selon les conditions prévues à l’alinéa 7b) de l’acte.

Le 30 décembre 1974, le président Ford a promulgué la Public Law 93-559, dont le sous-alinéa 34b)(4) exige que le pouvoir exécutif américain convoque à nouveau la conférence internationale dans l’éventualité d’une violation des Accords de paix de Paris. En recourant à l’article 7 de l’acte et en invoquant l’esprit de la Public Law 93-559, les États-Unis disposent d’un fondement juridique pour entreprendre la reconduction de la conférence internationale et forcer les gouvernements signataires à s’asseoir à une table de conférence où la Chine n’a pas de droit de veto et où elle peut être tenue responsable de ses invasions illégales et de sa perturbation de la stabilité en mer de Chine méridionale.

De plus, le 24 avril 2018, le Sénat a adopté une motion demandant au gouvernement canadien de jouer un rôle de premier plan en exhortant toutes les parties concernées par le différend en mer de Chine méridionale à promouvoir la paix en soutenant le droit international et ses partenaires et alliés régionaux, ainsi qu’en prenant les mesures supplémentaires nécessaires pour désamorcer les tensions et rétablir la paix et la stabilité dans la région.

Plus récemment, en avril dernier, lors d’une comparution devant le Comité spécial de la Chambre des communes sur les relations sino-canadiennes, le ministre Sajjan a déclaré :

[...] le Canada s’oppose aux projets de mise en valeur des terres et à la construction de bases dans des zones contestées à des fins militaires. Nous soutenons le commerce licite, la liberté de navigation et la liberté de survol conformément au droit international.

Et nous continuerons d’appuyer nos alliés et partenaires dans la région de l’Asie-Pacifique — tout particulièrement lorsque nous faisons face à des mesures unilatérales qui minent la stabilité et la paix.

Le ministre a prononcé un discours similaire dans le cadre de la 12e conférence annuelle sur la mer de Chine méridionale, qui s’est déroulée au Vietnam en novembre 2020. Il est bon de souligner que le Canada maintient aussi une présence navale active dans la région.

Chers collègues, pour toutes ces raisons, il est par conséquent très important de relancer le débat et la conférence en plus de sérieusement envisager de remettre sur pied le forum multilatéral historique qu’est la Conférence internationale sur le Vietnam. Je pense sincèrement que celle-ci pourrait être un outil stratégique crucial et une solution diplomatique et pacifique au conflit en Asie. Merci.

Honorables sénateurs, nous avons eu de nombreuses discussions dernièrement au Sénat quant à savoir si, en tant que parlementaires, nous avons le droit ou l’autorité morale de demander aux gouvernements d’agir, surtout lorsqu’il est question de ce qui se passe à l’étranger. Je soutiendrai encore une fois, comme je l’ai toujours fait, que nous en avons non seulement le droit et l’autorité morale, mais aussi l’obligation. En tant que Canadiens, nous ne nous sommes jamais abstenus de défendre ce qui est juste et de nous impliquer dans la défense des droits de la personne, que ce soit au Canada ou à l’étranger.

Les Canadiens s’attendent à ce que les parlementaires et les sénateurs incarnent les valeurs et les principes qui définissent notre nation et ce qu’elle représente dans le monde. Ils s’attendent à ce que les parlementaires dénoncent la tyrannie et non qu’ils l’apaisent, et qu’ils dénoncent la brutalité partout dans le monde en défendant les valeurs qu’ils chérissent profondément. Si nous contournons ces valeurs au nom d’intérêts géopolitiques et économiques, alors nous ne sommes pas une grande démocratie, mais un État ni plus ni moins transactionnel sur la scène économique mondiale. Comme dans un compte de banque à l’étranger, on y fait des retraits et des dépôts.

Nous ne pouvons pas affirmer croire à la primauté du droit et au respect des libertés et des droits de la personne, puis fermer les yeux sur de graves violations de ces principes. Nous pouvons faire le ménage dans notre propre cour, tout en insistant pour que tous nos voisins suivent notre exemple. C’est ce que nous avons toujours fait, et rien ne nous empêche de continuer.

Cela dit, je veux exprimer mon appui au sénateur Ngo. Il demande de réunir de nouveau la Conférence internationale sur le Vietnam. Certains soutiendront que les Accords de paix de Paris ne sont plus applicables. Or, je pense que le sénateur Ngo a prouvé le contraire de manière irréfutable. Je pense que c’est le bon moment pour réunir de nouveau la conférence, étant donné l’instabilité dans la région. C’est durant cette conférence qu’on a signé les Accords de paix de Paris pour tenter d’apporter la paix au Vietnam. Le Canada a participé à ces efforts à l’époque, et nous avons réaffirmé notre engagement à cet égard quand nous avons adopté la Loi sur la Journée du Parcours vers la liberté qui, dans son préambule, indique notamment que les violations des droits à l’autodétermination des Sud-Vietnamiens nous obligent à demander qu’on réunisse de nouveau la conférence.

Pour cette simple raison, nous savons ce qu’il nous reste à faire. C’est dans nos lois, honorables sénateurs, si cela peut apaiser les inquiétudes quant à la présentation d’une motion ordonnant ou demandant au gouvernement de prendre des mesures. C’est dans une loi qui a été dûment adoptée par les deux Chambres.

Je veux féliciter le sénateur Ngo pour avoir inlassablement lutté pour ce qui est juste, comme il l’a fait tout au long de sa carrière au Sénat. Il mérite nos félicitations. Il n’a jamais fléchi dans la lutte pour les droits de la personne, et il a été sans équivoque. J’appuie de tout cœur sa motion, et je pense que vous devriez tous faire de même, honorables sénateurs. Merci.

Haut de page