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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

17 octobre 2022


Votre Honneur, je vous remercie de me donner la possibilité de conclure mes observations sur le projet de loi S-248.

Chaque jour, la mort se manifeste de nombreuses façons dans notre vie : la mort d’une relation, la mort d’une carrière, la mort d’un être cher, même celui d’un animal de compagnie et, évidemment, notre propre mort. La mort et la fin de la vie font partie de notre réalité. Pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes la seule espèce qui est consciente du caractère inévitable de sa propre mort. Cela nous motive, nous aide à trouver un sens à notre vie, mais cela peut aussi nous effrayer; dans un cas comme dans l’autre, chaque moment a de la valeur et devient précieux.

Nous vivons dans une époque où nous pouvons raisonnablement prévoir la mort. La science nous permet de diagnostiquer avec une grande précision les maladies mortelles ou de déceler les signes de déclin physique ou cognitif. Un plus grand nombre de personnes peuvent vivre plus longtemps, alors il est essentiel de se demander : « ma vie est-elle convenable? » Dans la poursuite de la longévité, il faut toujours tenir compte de la qualité de vie.

Mon point de vue se fonde sur le fait d’avoir vu mes parents mourir de deux causes distinctes et autant tragiques l’une que l’autre, mon père étant mort du cancer, et ma mère, de la maladie d’Alzheimer. Leur souffrance était inutile et elle aurait pu être évitée. Ces affrontements avec la mort peuvent nous aider à envisager de mettre fin à notre propre vie. Nous voulons tous éviter de souffrir et de perdre notre dignité, mais il faut avoir la possibilité de choisir.

Je crois qu’il est de notre droit — et c’est peut-être même de notre responsabilité — de prendre nos propres décisions de fin de vie. Chaque jour, des Canadiens atteints d’une maladie incurable ou irréversible souffrent inutilement dans des lits d’hôpitaux ou des maisons de soins. Ils souffrent, parfois entourés d’êtres chers, mais trop souvent seuls ou dans la peur ou — le pire de tous les destins — sans savoir qui ils sont ou ont été.

Pour de nombreux Canadiens, le droit de choisir l’aide médicale à mourir a été une bénédiction. Je l’ai vu de mes propres yeux. La capacité de choisir est source d’autonomie. L’aide médicale à mourir offre à une personne non seulement un soulagement de la douleur et de la souffrance, mais aussi un sentiment de contrôle et de prévisibilité. Elle lui donne la possibilité de faire des plans et la possibilité de dire au revoir.

Pour les personnes récemment diagnostiquées d’une maladie incurable, la mort est un dictateur impitoyable. Les recherches montrent que plus de 20 % d’entre elles éprouvent une peur prolongée et intense à l’idée de mourir d’une mort douloureuse. Nous en sommes capables, alors pourquoi ne pas offrir une certitude à la fin, alors que la vie est devenue en grande partie si incertaine? C’est l’objet du projet de loi : la paix d’esprit et un départ dans la dignité.

Le projet de loi S-248 donne aux Canadiens qui ont reçu un diagnostic de problèmes de santé « graves et irrémédiables » la possibilité de donner leur consentement préalable à l’aide médicale à mourir avant de perdre la capacité de donner leur consentement final. Il s’agit d’une façon logique de combler une lacune actuelle de la loi, et une forte majorité des Canadiens sont en faveur d’un tel changement. Ce changement permettra aux personnes qui ont reçu un diagnostic de démence ou de maladie d’Alzheimer d’éviter l’impasse dans laquelle elles peuvent se trouver actuellement : on ne peut pas faire de demande avant d’avoir reçu un diagnostic et, une fois le diagnostic reçu, il est trop tard pour faire une demande pour une date future.

Le projet de loi proposé permettra à une personne de faire une demande longtemps avant le moment où elle souhaite mourir et longtemps avant de perdre la capacité de demander l’aide médicale à mourir. Elle pourra ainsi avoir l’esprit en paix, bénéficier d’une meilleure qualité de vie pendant le temps qu’il lui reste, et subir beaucoup moins de stress et d’anxiété pendant qu’elle vivra ses derniers jours.

Selon un sondage mené en 2019 par la Presse canadienne, 86 % des Canadiens sont d’avis que les personnes atteintes d’une maladie grave, dégénérative et incurable devraient pouvoir demander et obtenir l’aide médicale à mourir; par ailleurs, 74 % des répondants ont affirmé que toutes les personnes atteintes d’une maladie incurable devraient avoir accès à l’aide médicale à mourir, même si leur mort n’est pas imminente. L’an dernier, un sondage Ipsos mené par l’organisme Dying with Dignity a révélé que les Canadiens sont du même avis au sujet des demandes anticipées : 83 % y sont favorables dans le cas des personnes atteintes de problèmes de santé graves et irrémédiables.

Voilà qui donne une excellente idée de l’opinion des Canadiens, de leurs valeurs, de leur degré d’empathie et de leur degré de préoccupation non seulement pour leurs proches, mais pour l’ensemble de leurs concitoyens. Les statistiques sont claires. Toutefois, en dépit du vaste appui du public, cette lacune injuste est malheureusement toujours présente dans les lois canadiennes qui régissent actuellement l’aide médicale à mourir, et en tant que législateurs, nous avons la responsabilité de rectifier cette injustice.

Je vous épargne l’historique complet de l’aide médicale à mourir, mais vous vous souviendrez qu’en 2016, le gouvernement a présenté le projet de loi C-14 en réponse à l’arrêt Carter de la Cour suprême, lequel conférait aux personnes le droit de prendre leurs propres décisions relativement à leur fin de vie. Dans le projet de loi, une série de mesures de sauvegarde ont été mises en place pour apaiser les craintes que l’accès à l’aide médicale à mourir entraîne des dérapages. Or, dans la version finale du projet de loi, le gouvernement a décidé d’interdire l’accès à l’aide médicale à mourir aux mineurs matures et aux personnes dont la seule condition sous-jacente est un trouble mental ainsi que les demandes anticipées. Il a déclaré souhaiter plus de temps pour voir comment le public et le monde médical allaient composer avec la complexité de l’aide médicale à mourir sur le plan éthique.

Bien sûr, tout le monde était d’accord pour dire que l’aide médicale à mourir ne devait pas remplacer le soutien et les services essentiels offerts aux personnes sous-représentées, à celles qui ne sont pas disposées à recevoir l’aide médicale à mourir ou aux gens qui auraient pu recevoir des soins ou des traitements, mais qui ont été laissés tomber par un système injuste ou débordé. Cela s’applique à n’importe qui, d’ailleurs. L’aide médicale à mourir est toujours une question de choix. Il ne s’agit pas d’une solution de rechange à la pauvreté, à un traitement, au soutien ou à la famille. L’aide médicale à mourir devrait et doit toujours être un choix. Je crois que, sous sa forme actuelle, notre régime d’aide médicale à mourir s’approche du juste équilibre entre l’accès et les mesures de sauvegarde. Nous avons un peu plus d’informations, maintenant qu’il y a plus de six ans que l’aide médicale à mourir est disponible.

Le troisième rapport annuel sur l’aide médicale à mourir, qui a été publié en juillet, indique qu’en 2021, 80 % de tous les bénéficiaires de l’aide médicale à mourir avaient d’abord eu accès aux soins palliatifs et en avaient reçu. Ce chiffre est demeuré constant depuis 2019.

Parmi les personnes qui ont obtenu l’aide médicale à mourir sans avoir reçu de soins palliatifs, 88 % avaient eu accès à ces services, mais avaient choisi de ne pas s’en prévaloir.

Ainsi, les personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir sont typiquement des patients septuagénaires atteints d’un cancer qui ont obtenu l’aide médicale à mourir à leur domicile après avoir reçu des soins palliatifs. Nous devons poursuivre nos efforts afin d’assurer un accès équitable à ces soins dans les régions rurales ou mal desservies où ils sont inaccessibles.

Certains ont fait état de cas non documentés de personnes qui se seraient vu offrir l’aide médicale à mourir en premier et non en dernier recours. Toute information prouvant de telles situations devrait évidemment donner lieu à une enquête, mais cela ne veut pas dire qu’il faut remplacer tout le système.

Le cadre législatif sur l’aide médicale à mourir comprend des mesures de sauvegarde exigeant que la personne qui demande l’aide médicale à mourir déclare, juste avant de la recevoir, qu’elle est sûre de vouloir l’obtenir. On s’assure ainsi que le patient, son médecin, sa famille et ses proches sont tous absolument sûrs que la personne avait bel et bien choisi cette option. C’est aussi une façon d’offrir une protection juridique aux médecins qui offrent l’aide médicale à mourir.

Cependant, chers collègues, au lieu de faciliter les choses, certaines mesures de sauvegarde ont plutôt créé une plus grande ambiguïté. Dans le cas où des gens qui ont été jugés admissibles à l’aide médicale à mourir, disons, souffrent d’une forme avancée de cancer qui pourrait les empêcher physiquement de donner leur consentement verbal final ou craignent de perdre connaissance à cause de leur maladie, leur seule option était de mettre fin à leurs jours de façon prématurée, plus tôt que nécessaire, parce qu’ils devaient le faire alors qu’ils étaient en pleine possession de leurs capacités et pleinement en mesure de s’exprimer verbalement. C’était un piège juridique qui a causé davantage de souffrances inutiles.

C’est exactement ce qui est arrivé à Audrey Parker, une Néo-Écossaise de 57 ans atteinte d’un cancer du sein de stade 4. Elle a dû mettre fin à ses jours deux mois avant Noël, uniquement à cause d’une « mesure de sauvegarde » dans la loi qui était mal conçue.

D’innombrables autres personnes ont probablement dû prendre une décision semblable — nous avons entendu bon nombre d’histoires similaires — avant qu’on modifie enfin la loi en mars 2021, grâce aux efforts inlassables de la famille et des amis d’Audrey.

C’était un changement important et il a ouvert la voie au projet de loi. C’est parce que, comme je l’ai souligné, certaines personnes qui ont droit à l’aide médicale à mourir risquent de perdre leurs capacités avant la date choisie. Maintenant, grâce à l’ « amendement d’Audrey », nous avons en quelque sorte dans la loi actuelle une version très limitée des demandes anticipées. Je dis « limitée » parce que cette version ne s’applique qu’aux personnes dont la demande d’aide médicale à mourir a déjà été évaluée et approuvée, et seulement lorsqu’elles sont à la toute fin de leur vie et qu’un médecin convient qu’elles pourraient être privées de la capacité de dire « oui » ou de hocher la tête pour donner leur consentement final dans leurs derniers moments.

Chers collègues, c’est dans ce contexte que j’ai proposé l’an dernier un amendement au projet de loi C-7 dans le but d’autoriser sans réserve les demandes anticipées. J’espérais étendre le droit à une demande anticipée aux personnes dont la mort n’était pas imminente, mais qui allaient inévitablement perdre leur droit de consentir. C’est évidemment le cas des personnes atteintes de démence ou de la maladie d’Alzheimer et c’est pourquoi le droit de communiquer leur opinion à l’avance est si important.

Je tiens à remercier beaucoup d’entre vous de m’avoir aidé à faire adopter cet amendement dans cette enceinte. Ce fut un moment fort. Malheureusement, il a ensuite été rejeté par le gouvernement de l’époque. Je ne comprends vraiment pas pourquoi le gouvernement a dit non aux souhaits de cette Chambre et à ceux exprimés par tant de Canadiens. La question a plutôt été confiée à un comité parlementaire mixte spécial pour une étude plus approfondie.

Comme nous le constatons si souvent, le peuple — les Canadiens — fait preuve de plus de compassion et d’ouverture d’esprit que le gouvernement, tout comme la Cour suprême du Canada, qui a montré la voie.

Nous voyons également des provinces aller de l’avant dans ce dossier. La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité de l’Assemblée nationale du Québec a recommandé une directive anticipée pour l’aide médicale à mourir en 2012. Le rapport final du Groupe consultatif d’experts provincial-territorial sur l’aide médicale à mourir a demandé des éclaircissements au gouvernement pour inclure les demandes anticipées dans tout projet de loi à venir.

Même les rapports du Conseil des académies canadiennes sur les demandes anticipées, les mineurs matures et les troubles mentaux — bien qu’il ait été interdit à cet organisme de formuler des recommandations concrètes — comprenaient des propositions concernant les degrés d’accessibilité que les législateurs pourraient prendre en considération lors de la modification de la loi future.

Et rappelez-vous que notre premier Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, dont le travail a conduit au projet de loi C-14, a énoncé dans sa septième recommandation :

Que l’on autorise le recours aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir à tout moment, après qu’une personne aura reçu un diagnostic de problème de santé qui lui fera vraisemblablement perdre ses capacités ou un diagnostic de problème de santé grave ou irrémédiable, mais avant que les souffrances ne deviennent intolérables.

Toutes ces audiences, ces témoignages d’experts et ces recommandations représentent une décennie de travail. Chers collègues, c’est pour cette raison que j’ai présenté un amendement au projet de loi C-7 et que, à mon avis, il a été adopté.

Il y en a qui ne choisiraient pas d’accéder à cette aide, mais qui croient que les autres devraient avoir le choix de le faire. Pourtant, il semble que ce n’était pas suffisant et il y a encore des gens au Canada qui doivent se battre pour avoir le droit de présenter une demande anticipée en 2022.

C’est exactement ce que ce projet de loi vise à corriger. On sent bien que le climat politique est en train de changer. Plus tôt cette année, au Québec, un comité multipartite a présenté 11 recommandations, dont 10 qui concernent un meilleur modèle pour les demandes anticipées. Ces recommandations ont servi à orienter la portée du projet de loi à l’étude et elles étaient l’inspiration du projet de loi 38, au Québec, dont l’avenir est présentement incertain en raison des élections tenues récemment.

C’était un projet de loi bien réfléchi qui prévoyait des mesures de protection adéquates à mon avis. J’invite mes collègues à lire ce projet de loi pour qu’ils puissent constater l’allure que pourrait prendre un cadre provincial pour les demandes anticipées.

Toutefois, on craint que, même s’il est adopté, un régime provincial pour les demandes anticipées, tout comme les médecins, demeurent vulnérables si la loi fédérale n’est pas modifiée. Ainsi, même si le projet de loi 38 est adopté, les médecins du Québec pourraient être condamnés à une peine d’emprisonnement pour avoir honoré une demande anticipée, même si cela est autorisé par la loi dans leur province parce que cela ne l’est pas à l’échelon fédéral.

La Cour suprême du Canada a déjà donné au gouvernement fédéral toute la latitude nécessaire pour permettre les demandes anticipées, ce qui rend ces délais injustes.

Je crois que ce projet de loi permet de corriger la situation. Il modifie le Code criminel fédéral pour permettre les demandes anticipées. Ce projet de loi ne présente pas une approche trop contraignante, car cela relève en fait de la compétence des provinces.

Vous voyez, les lois canadiennes régissant l’aide médicale à mourir apportent des modifications au Code criminel en créant en fait une exclusion et, en vertu de la Constitution, toutes les questions relatives à la santé sont réglementées par les provinces. Ainsi, ce projet de loi ne fait qu’exclure les demandes anticipées, ou le recours à celles-ci, de la définition d’acte criminel.

Ce projet de loi est assez simple. Il modifie les paragraphes 241.2 (3.1), (3.2) et (3.4) du Code criminel relatifs à l’aide médicale à mourir. Il s’agit de la mesure de sauvegarde relative au consentement final à laquelle le paragraphe 3.21, ou « amendement d’Audrey », comme je l’ai appelé plus tôt, permet de renoncer.

Le projet de loi ajoute également un autre paragraphe — (3.22) — qui permet à une personne et à son médecin de préparer un ensemble écrit de problèmes énoncés et de déclarer que lorsque ces comportements ou problèmes évalués médicalement sont présents, cela contribuerait à définir le moment où la personne voudrait obtenir l’aide médicale à mourir. C’est le point central de ce projet de loi.

Bien sûr, il faudrait que cette personne ait reçu un diagnostic de maladie, d’affection ou de handicap grave ou incurable pour pouvoir être admissible à l’aide médicale à mourir. L’énoncé des problèmes existerait sur papier, avant même qu’ils ne soient évalués et approuvés aux fins de l’aide médicale à mourir.

L’alinéa (3.22)a) stipule qu’une personne peut être en mesure de faire une déclaration écrite selon laquelle un médecin ou un infirmier praticien peut administrer l’aide médicale à mourir sans le consentement final de la personne, sous réserve que les problèmes causant de la souffrance soient clairement indiqués dans la demande de consentement préalable et que ces problèmes puissent être facilement observés par le médecin ou l’infirmier praticien.

Il s’agit d’une distinction importante par rapport à ce que prévoit actuellement la loi. Le paragraphe 3.21, appelé « amendement d’Audrey », permet de renoncer au consentement final si le demandeur de l’aide médicale à mourir et son médecin ont conclu une entente pour que l’aide médicale à mourir soit administrée à une date déterminée, et si la souffrance et l’état physique de cette personne l’empêchent de donner cette confirmation verbale finale.

Le paragraphe 3.22 accorde le même droit aux Canadiens atteints d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables, qui n’ont pas encore déterminé la date à laquelle sera administrée l’aide médicale à mourir, mais qui ont clairement établi les critères à respecter pour que l’on mette fin à leurs souffrances.

L’alinéa 3.22b) du projet de loi exige qu’une demande anticipée ne remonte pas à plus de cinq ans. Cela signifie que la demande anticipée devrait être mise à jour régulièrement pour s’assurer qu’elle reflète toujours le souhait et les intentions de la personne et que c’est réellement ce qu’elle souhaite lorsqu’elle aura perdu le contrôle de sa situation.

Ce délai a été fixé après consultation de divers intervenants et groupes tels que la Société Alzheimer du Canada et l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, connue sous le nom d’ACEPA.

Toutefois, si le Comité des affaires sociales du Sénat estime qu’une mise à jour est nécessaire tous les trois ans, je me rallierai entièrement à cet avis. Nous devons nous efforcer de donner au plus grand nombre de gens possible la plus grande tranquillité d’esprit possible.

L’alinéa 3.22c) du projet de loi exige que la demande anticipée comprenne le consentement à l’aide médicale à mourir donné par la personne qui fait la demande et l’alinéa 3.22d) exige que deux témoins indépendants soient présents au moment de signer la demande anticipée.

Tout le monde devrait discuter de ses choix de fin de vie avec les membres de sa famille, avec ses amis, avec ses médecins et même avec ses avocats bien avant d’arriver à la fin de sa vie. Tout le monde devrait avoir rempli les documents concernant la planification et les directives préalables; ces documents sont faciles à trouver en ligne. Il faut également les mettre à jour régulièrement afin que nos dossiers et nos intentions demeurent clairs au fil du temps. Pour que nos volontés soient respectées, il faut qu’elles soient claires et comprises.

Je pense que le projet de loi à l’étude arrive à un juste équilibre. Il exige que la demande anticipée soit régulièrement mise à jour. Il requiert également que la personne qui fait la demande anticipée en discute en détail avec son médecin et avec d’autres personnes — de nombreuses autres personnes — afin qu’elle comprenne bien ce que son geste signifie et qu’elle convienne avec son médecin des critères qui sont, à son avis, appropriés.

Il faut également que la demande d’aide médicale à mourir soit approuvée. Il faudra aussi respecter les paramètres prévus dans la législation actuelle ou la portée recommandée dans les différents rapports fédéraux. Personne ne sera contraint d’opter pour l’aide médicale à mourir et on ne pourra pas se servir de cette demande à des fins de coercition. Le seul objectif est de donner aux Canadiens l’assurance que, si leur maladie ou leur handicap s’aggrave au point où ils ne sont plus en mesure de donner leur consentement à l’aide médicale à mourir, leurs volontés seront quand même respectées.

Bien entendu, le projet de loi gagnera à être étudié par le Comité sénatorial des affaires sociales. En outre, Santé Canada et les provinces devront créer un cadre de réglementation permettant les demandes anticipées, et nos conseils à cet égard leur seraient sans doute utiles.

Il y a également la question à savoir comment on conserverait les demandes anticipées. Faudra-t-il créer un registre en ligne? Que se passe-t-il si une personne change de province? Qu’arrive-t-il si la personne veut modifier les conditions qu’elle a précisées dans sa demande anticipée ou l’annuler complètement?

Personnellement, je crois que tous devraient avoir le droit de présenter une demande anticipée dans leur testament biologique. Nul ne devrait être forcé à vivre le reste de sa vie en étant invalide advenant la perte inattendue de sa capacité, que ce soit à la suite d’un accident ou d’un accident vasculaire cérébral, par exemple. C’est pour cela que nous avons des ordonnances de ne pas réanimer. Une directive anticipée a le même objectif, selon moi. Nos décisions à propos de notre vie personnelle, énoncées clairement et étayées solidement, devraient être respectées, même s’il devait nous arriver, à un moment donné, de perdre notre capacité à réaffirmer consciemment notre choix et décision.

Ce sont là toutes des questions très importantes et très compliquées que je sais que notre comité étudierait et examinerait. Je le répète, si nos lois relatives à l’aide médicale à mourir n’étaient pas liées au Code criminel, il serait beaucoup plus simple de régler ces questions et préoccupations par la voie législative. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Enfin, chers collègues, permettez-moi une dernière observation pour justifier l’étude de ce projet de loi par le Sénat maintenant plutôt qu’après la publication du rapport final du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.

Comme je l’ai dit plus tôt, le comité consacre du temps précieux à revoir le concept de l’aide médicale à mourir. Nous avons effectivement entendu de nombreux témoins représentant tous les points de vue sur cette question, et j’espère que tout ce travail permettra, au bout du compte, d’élaborer des recommandations concrètes qui seront précises et utiles pour les prochaines mesures législatives. Cela dit, je pense que les comités sénatoriaux sont mieux en mesure de présenter des rapports dans de brefs délais, et le temps presse.

L’action ou l’inaction du gouvernement est souvent source de frustration pour les milliers de Canadiens en attente de décisions. Leur vie et leur mort sont trop souvent coincées dans des limbes législatives.

Dans l’ouvrage Pensées pour moi-même, Marc Aurèle a écrit ce qui suit :

[...] la vie chaque jour se consume et [...] la part qui reste diminue d’autant. Mais il faut encore considérer ceci : à supposer qu’un homme vive longtemps, il demeure incertain si son intelligence restera pareille [...]

Il faut donc se hâter, non seulement parce qu’à tout moment nous nous rapprochons de la mort, mais encore parce que nous perdons, avant de mourir, la compréhension des questions et le pouvoir d’y prêter attention.

Chers collègues, nous devons effectivement nous hâter. Ce projet de loi aidera ceux dont la compréhension du monde s’effrite. Tant de gens veulent ce projet de loi et en ont besoin.

Je vous remercie de m’avoir écoutée. Sachez que je serai reconnaissante de l’appui que vous pourrez me donner. Merci.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Sénatrice Wallin, j’ai quelques questions au sujet des témoins, de la manière dont ils sont définis dans votre projet de loi et de la manière dont le tout est caractérisé. Comment le terme « témoins indépendants » est-il défini dans votre projet de loi? Je sais qu’en vertu de votre projet de loi, la déclaration du patient doit être :

[...] signée et datée par deux témoins indépendants qui confirment qu’elle a été faite de manière volontaire et sans pressions extérieures;

J’ai une autre question à ce sujet, mais pourriez-vous d’abord répondre concernant les « témoins indépendants » s’il vous plaît? Merci.

Il s’agit d’un concept qui existe déjà ailleurs dans la loi, mais des « témoins indépendants » seraient le mieux décrits comme étant ceux qui, selon le client, le patient et la personne qui demande l’aide médicale à mourir, en consultation, au fil du temps, avec les professionnels de la santé, sont indépendants et n’ont aucun intérêt à l’égard de l’issue ou de la décision du patient.

La sénatrice Batters [ - ]

Existe-t-il déjà une définition à cet égard dans le projet de loi C-7 ou C-14, ou s’agit-il d’une définition supplémentaire? Voilà ce que je me demande. Vous pourrez peut‑être vous renseigner et me le faire savoir si vous n’êtes pas certaine, étant donné qu’il pourrait y avoir plusieurs définitions. Il pourrait s’agir d’une personne qui n’a pas le droit de bénéficier de la succession ou qui n’est pas un parent de la personne concernée. Je m’interroge sur cet élément, car il s’agit d’une définition importante.

Je me demande également s’il est exact que conformément à votre projet de loi, ce serait le « médecin » qui certifierait que, conformément au sous-alinéa 3.22e)(iii), « chaque témoin est indépendant conformément au paragraphe (5) ».

Ce que je me demande, c’est comment un médecin serait en mesure de le déterminer. En passant, il est important de rappeler que ce médecin, conformément aux lois sur l’aide médicale à mourir, pourrait être un médecin ou un infirmier praticien. Je me demande comment un médecin pourrait avoir de telles connaissances. Merci.

J’ai discuté longuement de toute cette question avec l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’aide médicale à mourir. Il s’agit de médecins et souvent des médecins de famille. Ce sont donc des personnes qui connaissent le patient depuis des années et des années.

J’ai eu cette discussion avec quelqu’un la semaine dernière. Il est important que nous remplissions tous ces formulaires et que nous précisions nos souhaits au fil du temps à diverses personnes pour garantir ce type d’indépendance. On peut en parler à des membres de la famille, à des amis, à une tierce personne, à un avocat, à un autre médecin que son médecin de famille. Les possibilités sont nombreuses.

Quand on fait part de ces commentaires, de ces observations et de ces convictions à des amis et à des proches, et surtout, lorsqu’on le fait par écrit, c’est une façon d’avoir des garanties ou un plan de secours. C’est ce que veulent vraiment les médecins qui offrent l’aide médicale à mourir. Ils veulent un cadre provincial pour clarifier cela, et cela fait partie des aspects qui font l’objet de discussions et de négociations.

Dans tous les formulaires à remplir, on voit qu’il y a bien des façons d’indiquer clairement ce qu’on veut, et il y a évidemment différentes options qui s’offrent au patient pour qu’il soit plus à l’aise.

En tant que femme sans enfant ni époux, je dois évidemment aller au-delà de la famille immédiate et en faire part à un parent éloigné comme un neveu ou une nièce. Quoi qu’il en soit, cela permet de rendre les choses très claires dans le processus. C’est pourquoi je ne cesse de recommander aux gens, presque en les suppliant, de faire cela non seulement dans leur intérêt, pour qu’on respecte leur volonté, mais aussi dans l’intérêt de ceux qui les aiment et qui veulent être sûrs que c’est ce qu’ils veulent et que leur volonté sera respectée.

Cela signifie prendre ses responsabilités plus tôt dans la vie. Je sais qu’à 29 ans, personne ne songe à cela. Par contre, pour la plupart d’entre nous ici, il est temps de commencer à y songer. Il s’agit également de clarifier les choses pour soi-même. Lorsqu’on commence à remplir ces formulaires et qu’on suit les différentes étapes requises, cela nous incite à l’introspection. Ce processus permet de définir les choses, d’établir une certitude, un engagement.

Si on demande à d’autres de participer à ce processus, qu’il s’agisse d’un avocat, de membres de la famille ou d’amis, on finit par obtenir un sentiment de sécurité, tant pour nous que pour eux, en sachant qu’ils consentent à être des témoins.

C’est une obligation, une obligation lourde de sens. Il faut la prendre très au sérieux. Il est préférable d’entamer le processus le plus tôt possible. C’est là que les définitions entrent en ligne de compte, car au fil du temps, c’est tout un groupe de personnes qui participera au processus.

L’honorable Marie-Françoise Mégie [ - ]

Est-ce que la sénatrice Wallin accepterait de répondre à une question?

La sénatrice Mégie [ - ]

Sénatrice Wallin, pendant ma carrière médicale, j’ai travaillé avec des personnes souffrant de maladies graves et incurables, y compris des personnes atteintes de troubles neurocognitifs.

Nous utilisions le système des directives médicales anticipées. Si le projet de loi S-248 est adopté, quelles seront les interdépendances entre les demandes anticipées d’aide médicale à mourir et le système provincial de directives médicales anticipées?

Vous soulevez là une série de questions, car le Code criminel relève de la compétence fédérale, alors que les questions de santé relèvent de la compétence provinciale.

C’est pourquoi des groupes travaillent sur cette question depuis plus de 10 ans, pour essayer de trouver des cadres qui reflètent les besoins et les souhaits d’une province ou d’un territoire particulier — parce que les points de vue diffèrent d’un endroit à l’autre au pays — et pour trouver un cadre fédéral qui les intègre et qui soit suffisamment souple pour que, s’il y a des différences entre une province et une autre, cela soit pris en considération dans les lois sur l’aide médicale à mourir; l’objectif étant de disposer d’un nouvel ensemble révisé de lois sur l’aide médicale à mourir.

Il existe des directives médicales anticipées ou directives de soins. Lorsque vous êtes hospitalisé et que vous êtes sur le point d’être opéré, on peut vous demander si vous voulez signer un ordre de non-réanimation. C’est vous qui décidez. Je pense que tout commence avec vos opinions et vos antécédents. Si vous signez cette déclaration, si vous vous êtes engagé dans ce processus de préparation en vue des décisions de fin de vie, alors les gens auront l’assurance que vos points de vue n’ont pas changé, que ce soit à court ou à long terme.

Je verrais donc cette mesure comme faisant partie d’un ensemble plus vaste dans le cadre duquel vos croyances et vos sentiments ont été observés au fil du temps. S’ils restent les mêmes, s’ils sont cohérents, ou même s’ils changent, cela peut être évalué par les professionnels de la santé en fin de compte.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

La sénatrice Wallin accepterait‑elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Merci, sénatrice Wallin.

Je veux vous féliciter de vos efforts soutenus pour accroître la sensibilisation sur les demandes anticipées. Vos observations me rappellent quantité de souvenirs des débats et des travaux sur le projet de loi C-14 en 2016-2017. Les émotions étaient à fleur de peau. Il y avait beaucoup d’informations à examiner.

Pouvez-vous me dire si cet enjeu des demandes anticipées est unique au Canada ou nouveau? On a entendu parler d’autres pays — surtout les Pays-Bas, mais aussi la Belgique et la Suisse — qui ont adopté des lois sur l’aide médicale à mourir.

D’après votre étude des mesures adoptées ailleurs dans le monde, que pouvez-vous nous dire sur cet enjeu et que pouvons-nous apprendre? Des pays ont-ils tiré des leçons qui pourraient nous être utiles?

D’après la majorité des études que j’ai menées sur d’autres pays, j’ai cru comprendre que ces derniers percevaient cet enjeu d’une manière fort différente de la nôtre. C’est une décision qu’on prend, c’est tout.

Des pays comme la Suisse autorisent même — je déteste utiliser cette expression — le tourisme médical, c’est-à-dire que les gens peuvent s’y rendre pour demander une aide médicale à mourir s’ils souffrent et que, pour une raison quelconque, ils n’y sont pas admissibles au Canada.

Il ne fait aucun doute qu’il est compliqué de présenter une demande anticipée dans notre pays, mais je crois que c’est une bonne chose. Nous allons vraiment au fond de la question. C’est une décision que personne ne prend à la légère. Ce n’est pas un enjeu qu’un médecin praticien souhaite prendre à la légère.

Étant donné que la question des demandes anticipées figure toujours dans le Code criminel, cela rend les choses deux fois plus compliquées parce que nous demandons à des particuliers ou à des médecins praticiens de se livrer à une pratique qui est peut-être encore illégale au Canada. Il est vraiment important que nous donnions plus de précisions à cet égard.

Comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, c’est là l’avantage de l’ « amendement d’Audrey » : elle nous a amenés dans cette direction. C’est en raison du fait que cette femme a dû mettre fin à ses jours de manière précoce parce qu’elle savait qu’elle ne serait plus capable de donner son consentement final dans les derniers moments de son existence à cause de la nature de sa maladie.

Honnêtement, chaque semaine, je reçois des appels de gens qui me parlent d’amis ayant pris une telle décision parce qu’ils n’étaient pas encore admissibles à l’aide médicale à mourir. Ils craignaient que s’ils attendaient le moment où ils le deviendraient, ils n’auraient plus la capacité de donner leur consentement. Bon nombre de Canadiens se retrouvent dans une telle impasse.

Nous devons à tout le monde de clarifier cet enjeu. Après tout, nous nous sommes rendus jusqu’à ce point, et nous avons mûrement réfléchi à la question parce qu’il n’existe pas beaucoup de précédents internationaux. Les provinces cherchent des solutions à cet enjeu. Le Québec déploie des efforts considérables dans ce domaine. J’ai l’impression que nous attendons toujours une décision judiciaire avant d’agir. Nous sommes alors forcés d’aller dans une direction déterminée, et nous cherchons de mille et une façons à y arriver.

Ce qu’il faut, selon moi, c’est être proactif : c’est dans cette optique que travaillent le comité et d’autres groupes. Nous devons tenter d’établir des paramètres, de rassurer les gens pour qu’ils aient la certitude que nous n’agissons pas sans avoir bien compris et bien étudié la question, ni sans mettre en place des règles et des mesures de protection et de sauvegarde. Voilà ce qu’il faut vraiment faire. C’est ce qu’il faut faire ici, à l’autre endroit et dans les tribunaux. Les fournisseurs de services médicaux doivent participer, et ils le font, mais nous devons trouver des façons d’organiser tout ça. J’espère que le projet de loi servira de point de départ à cette discussion.

L’honorable Mary Jane McCallum [ - ]

Je peux comprendre pourquoi les gens veulent demander l’aide à mourir, mais je doute qu’un d’entre nous puisse dire que cette aide ne sera pas utilisée comme une tactique coercitive. J’ai reçu des appels d’aînés et de personnes handicapées. Un aîné en particulier m’a dit que son médecin lui a donné cette option lorsqu’il l’a consulté. Il ne l’a pas demandé et il ne la voulait pas. Maintenant, il a peur. C’est un aîné autochtone.

Lorsqu’il s’agit de populations vulnérables, on peut parler de coercition. Les femmes autochtones qui sont soumises à la stérilisation forcée aujourd’hui n’ont pas la possibilité de choisir. Elles n’ont pas d’options : elles leur ont été retirées.

Quelles mesures de protection seront mises en place pour les Autochtones et les personnes handicapées, c’est-à-dire pour les gens qui sont considérés comme inférieurs par de nombreuses personnes au Canada? Quelles mesures de protection seront mises en place pour eux?

Les mesures de protection sont les mêmes que pour tout Canadien — elles existent dans la loi. Nous essayons d’adopter des mesures de protection au sujet des demandes de consentement préalable, qui sont plus pertinentes en ce qui a trait à cet enjeu en particulier. Il y a déjà la renonciation au consentement final et le droit de faire cela. Les lois s’appliquent à tout le monde.

Je l’ai mentionné dans mes observations, mais je pense qu’il est important de le redire : nous n’avons pas de cas documentés de personnes qui ont été forcées de recevoir l’aide médicale à mourir. Il est presque inconcevable qu’un médecin s’engage dans cette voie sans contestation de la famille et de son propre corps médical. Les médecins doivent respecter des règles très strictes et sont très conscients des fautes professionnelles médicales.

Si de tels cas en venaient à exister, ils devraient, bien entendu, être portés à l’attention des autorités. Ils devraient être examinés. Des mesures devraient être prises, si nécessaire. Toutefois, comme nous l’ont dit les témoins, il n’y a pas de preuve à ce sujet. Merci.

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