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Le projet de loi C-83 aggraverait la situation des droits de la personne des détenus: Sénatrice Pate

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Le projet de loi C-83 a fait un pas de plus vers son adoption, puisqu’il est renvoyé au Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour une étude sur les conséquences éventuelles pour les Canadiens, en particulier les détenus dans les pénitenciers fédéraux.

À première vue, le projet de loi semble mettre fin à la ségrégation, ou isolement cellulaire, que la Cour d’appel de l’Ontario a récemment déclarée inconstitutionnelle. Le projet de loi s’en remet aussi au Service correctionnel du Canada (SCC) pour surveiller et signaler ses propres violations des droits de la personne dans les pénitenciers sans prendre de nouvelles mesures pour la transparence ou la reddition de comptes. En fait, le projet de loi ne fait pas que garder le statu quo : il aggrave beaucoup la situation.

Les tribunaux ont confirmé que l’isolement cellulaire viole les garanties de la Charte. En tant que gardien de la Charte, le système judiciaire est tenu d’assurer sa fonction constitutionnelle de faire respecter les droits de tous, en particulier les personnes les plus vulnérables et marginalisées dans les prisons, comme les femmes, les Autochtones et celles qui souffrent de troubles de santé mentale invalidants.

Il y a plus de 23 ans, la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, présidée par l’ancienne juge Louise Arbour, a recommandé le contrôle judiciaire du SCC afin d’empêcher les atteintes aux droits de la personne rattachées à la ségrégation. La commission a fait ressortir que « l’absence d’examen public [du SCC] contraste nettement avec les processus d’imputabilité auxquels sont soumis ceux qui appliquent les lois pénales, ainsi que les tribunaux judiciaires ».

Les juristes continuent à souligner la nécessité d’un contrôle judiciaire pour intégrer la reddition de comptes dans les services correctionnels. Lors de la réunion du comité sénatorial du 9 mai, Allan Manson, professeur émérite en droit à l’Université Queen’s, et Debra Parkes, professeure à la Faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique, ont insisté sur le fait que les tribunaux jugeraient inconstitutionnel le projet de loi adopté dans sa version actuelle. À leur avis, il faut instaurer une surveillance extérieure, qui fait cruellement défaut, pour assurer le respect des normes constitutionnelles.

Un contrôle et une reddition de comptes toujours aussi lacunaires ont contribué à des événements terribles comme le décès d’Ashley Smith, une fille de 19 ans morte en isolement cellulaire — qui lui a été imposé tout au long de son incarcération sous responsabilité fédérale — malgré son étroite surveillance pour risque de suicide et les vérifications par les agents correctionnels. Son décès a d’ailleurs été déclaré un homicide.

Le SCC est un cas particulier en ce qui est du contrôle judiciaire exercé par les acteurs étatiques. Comme la commission d’enquête Arbour l’a signalé, le reste de notre système judiciaire fait l’objet d’un examen public et d’une reddition de comptes scrupuleux. Pourquoi le SCC en serait-il épargné? Il est temps que son contrôle judiciaire devienne une réalité.

Ceux qui mettent en doute la capacité des tribunaux à exercer le contrôle judiciaire des décisions du SCC de façon rapide n’ont pas lieu de s’inquiéter. Dans une analyse juridique qui sera présentée au comité des affaires sociales, M. Manson, spécialiste du droit carcéral et de la détermination de la peine, a indiqué que le contrôle judiciaire ferait preuve de plus d’efficacité que le mécanisme lourd et compliqué prévu par le projet de loi C‑83. En fait, le contrôle judiciaire serait expéditif, et le décideur serait habilité à prendre des mesures pour régler les questions pertinentes, y compris les questions de droit, et des ordonnances pour réparer des décisions sur l’isolement continu ou les conditions d’isolement.

En plus de ne pas assurer un contrôle judiciaire, le projet de loi C-83 comporte de nombreuses dispositions vagues qui laissent place à beaucoup d’interprétation et qui pourraient donner lieu à un abus des procédures.

Dans sa déclaration officielle sur l’incidence du projet de loi C‑83 sur la Charte, le ministère de la Justice avance que la mesure respecte les droits les plus fondamentaux des détenus grâce aux examens périodiques de leur isolement que les unités d’intervention structurée (UIS) effectuent — une solution censée remplacer la ségrégation. Dans certaines circonstances, cet examen sera mené par un « décideur externe indépendant ». Cependant, le projet de loi n’indique pas l’identité du décideur.

Le projet de loi accroît les pouvoirs décisionnels de nature discrétionnaire et arbitraire du SCC. Pire encore, les processus décisionnels prévus doivent être dictés par règlement pris ultérieurement par le gouvernement, ce qui aggrave le risque et la perpétuation des violations des droits fondamentaux et constitutionnels de la personne des détenus.

Contrairement à ce que le gouvernement prétend, les UIS ne mettent pas fin à la ségrégation ni ne font la promotion des valeurs garanties par l’article 12 de la Charte. Au lieu de cela, elles ne font que rebaptiser les unités de ségrégation déjà en place.

On peut se demander pourquoi l’isolement cellulaire existe toujours, peu importe le nom qu’on lui donne. Le SCC a affirmé au comité sénatorial que moins de 300 hommes et de 3 femmes étaient détenus en ségrégation. Il a par ailleurs signifié son intention de mettre fin à cette pratique. Le directeur parlementaire du budget (DPB) a recensé quatre solutions de rechange à l’isolement moins chères et probablement plus efficaces. Le SCC affiche le rapport personnel-détenus le plus élevé du monde (plus d’un employé pour chaque détenu). Il n’y a donc aucune raison pour ne pas pouvoir mettre en place de véritables solutions de rechange à l’isolement — qu’il s’agisse de celles examinées par le DPB ou d’autres.

Le gouvernement fédéral persiste à affirmer que le projet de loi C-83 représente une avancée dans les services correctionnels. Pourtant, les témoignages de spécialistes et les décisions des tribunaux persistent, eux, à lui prouver le contraire.

Il est temps de transformer les services correctionnels et de confier au système judiciaire, expérimenté et compétent, le pouvoir de contrôler le SCC et d’y apporter des changements correctifs lorsqu’il enfreint la loi.

 

La sénatrice Kim Pate représente l’Ontario au Sénat.

Cet article a été publié le 10 mai 2019 dans le journal Options politiques (en anglais seulement).

Le projet de loi C-83 a fait un pas de plus vers son adoption, puisqu’il est renvoyé au Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour une étude sur les conséquences éventuelles pour les Canadiens, en particulier les détenus dans les pénitenciers fédéraux.

À première vue, le projet de loi semble mettre fin à la ségrégation, ou isolement cellulaire, que la Cour d’appel de l’Ontario a récemment déclarée inconstitutionnelle. Le projet de loi s’en remet aussi au Service correctionnel du Canada (SCC) pour surveiller et signaler ses propres violations des droits de la personne dans les pénitenciers sans prendre de nouvelles mesures pour la transparence ou la reddition de comptes. En fait, le projet de loi ne fait pas que garder le statu quo : il aggrave beaucoup la situation.

Les tribunaux ont confirmé que l’isolement cellulaire viole les garanties de la Charte. En tant que gardien de la Charte, le système judiciaire est tenu d’assurer sa fonction constitutionnelle de faire respecter les droits de tous, en particulier les personnes les plus vulnérables et marginalisées dans les prisons, comme les femmes, les Autochtones et celles qui souffrent de troubles de santé mentale invalidants.

Il y a plus de 23 ans, la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, présidée par l’ancienne juge Louise Arbour, a recommandé le contrôle judiciaire du SCC afin d’empêcher les atteintes aux droits de la personne rattachées à la ségrégation. La commission a fait ressortir que « l’absence d’examen public [du SCC] contraste nettement avec les processus d’imputabilité auxquels sont soumis ceux qui appliquent les lois pénales, ainsi que les tribunaux judiciaires ».

Les juristes continuent à souligner la nécessité d’un contrôle judiciaire pour intégrer la reddition de comptes dans les services correctionnels. Lors de la réunion du comité sénatorial du 9 mai, Allan Manson, professeur émérite en droit à l’Université Queen’s, et Debra Parkes, professeure à la Faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique, ont insisté sur le fait que les tribunaux jugeraient inconstitutionnel le projet de loi adopté dans sa version actuelle. À leur avis, il faut instaurer une surveillance extérieure, qui fait cruellement défaut, pour assurer le respect des normes constitutionnelles.

Un contrôle et une reddition de comptes toujours aussi lacunaires ont contribué à des événements terribles comme le décès d’Ashley Smith, une fille de 19 ans morte en isolement cellulaire — qui lui a été imposé tout au long de son incarcération sous responsabilité fédérale — malgré son étroite surveillance pour risque de suicide et les vérifications par les agents correctionnels. Son décès a d’ailleurs été déclaré un homicide.

Le SCC est un cas particulier en ce qui est du contrôle judiciaire exercé par les acteurs étatiques. Comme la commission d’enquête Arbour l’a signalé, le reste de notre système judiciaire fait l’objet d’un examen public et d’une reddition de comptes scrupuleux. Pourquoi le SCC en serait-il épargné? Il est temps que son contrôle judiciaire devienne une réalité.

Ceux qui mettent en doute la capacité des tribunaux à exercer le contrôle judiciaire des décisions du SCC de façon rapide n’ont pas lieu de s’inquiéter. Dans une analyse juridique qui sera présentée au comité des affaires sociales, M. Manson, spécialiste du droit carcéral et de la détermination de la peine, a indiqué que le contrôle judiciaire ferait preuve de plus d’efficacité que le mécanisme lourd et compliqué prévu par le projet de loi C‑83. En fait, le contrôle judiciaire serait expéditif, et le décideur serait habilité à prendre des mesures pour régler les questions pertinentes, y compris les questions de droit, et des ordonnances pour réparer des décisions sur l’isolement continu ou les conditions d’isolement.

En plus de ne pas assurer un contrôle judiciaire, le projet de loi C-83 comporte de nombreuses dispositions vagues qui laissent place à beaucoup d’interprétation et qui pourraient donner lieu à un abus des procédures.

Dans sa déclaration officielle sur l’incidence du projet de loi C‑83 sur la Charte, le ministère de la Justice avance que la mesure respecte les droits les plus fondamentaux des détenus grâce aux examens périodiques de leur isolement que les unités d’intervention structurée (UIS) effectuent — une solution censée remplacer la ségrégation. Dans certaines circonstances, cet examen sera mené par un « décideur externe indépendant ». Cependant, le projet de loi n’indique pas l’identité du décideur.

Le projet de loi accroît les pouvoirs décisionnels de nature discrétionnaire et arbitraire du SCC. Pire encore, les processus décisionnels prévus doivent être dictés par règlement pris ultérieurement par le gouvernement, ce qui aggrave le risque et la perpétuation des violations des droits fondamentaux et constitutionnels de la personne des détenus.

Contrairement à ce que le gouvernement prétend, les UIS ne mettent pas fin à la ségrégation ni ne font la promotion des valeurs garanties par l’article 12 de la Charte. Au lieu de cela, elles ne font que rebaptiser les unités de ségrégation déjà en place.

On peut se demander pourquoi l’isolement cellulaire existe toujours, peu importe le nom qu’on lui donne. Le SCC a affirmé au comité sénatorial que moins de 300 hommes et de 3 femmes étaient détenus en ségrégation. Il a par ailleurs signifié son intention de mettre fin à cette pratique. Le directeur parlementaire du budget (DPB) a recensé quatre solutions de rechange à l’isolement moins chères et probablement plus efficaces. Le SCC affiche le rapport personnel-détenus le plus élevé du monde (plus d’un employé pour chaque détenu). Il n’y a donc aucune raison pour ne pas pouvoir mettre en place de véritables solutions de rechange à l’isolement — qu’il s’agisse de celles examinées par le DPB ou d’autres.

Le gouvernement fédéral persiste à affirmer que le projet de loi C-83 représente une avancée dans les services correctionnels. Pourtant, les témoignages de spécialistes et les décisions des tribunaux persistent, eux, à lui prouver le contraire.

Il est temps de transformer les services correctionnels et de confier au système judiciaire, expérimenté et compétent, le pouvoir de contrôler le SCC et d’y apporter des changements correctifs lorsqu’il enfreint la loi.

 

La sénatrice Kim Pate représente l’Ontario au Sénat.

Cet article a été publié le 10 mai 2019 dans le journal Options politiques (en anglais seulement).

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