Ratna Omidvar
GSI - Ontario
Cet article a paru originalement dans l'édition du 19 septembre du Globe and Mail.
Au cours de l’année qui s’est écoulée depuis la mort tragique d’Alan Kurdi, qui a attiré l’attention du monde entier sur le sort des réfugiés syriens, nous avons observé une vague d’appui du public. Plus de 30 000 Syriens se sont établis au Canada, dont 10 000 grâce au parrainage privé. Des centaines de milliers d’autres réfugiés ont quant à eux immigré en Europe. Les efforts déployés par la communauté internationale sont toutefois loin de répondre à la crise.
Des millions de Syriens vivent encore dans des camps temporaires. Ils ne représentent pas le seul groupe de déplacés, car les conflits, la pauvreté et les catastrophes naturelles en Afrique et en Asie centrale ont entraîné dans le monde un mouvement sans précédent de réfugiés et de migrants. Cette crise humanitaire historique est aggravée par un modèle de gouvernance mondiale qui ne fonctionne tout simplement pas. Notre approche s’appuie sur la même infrastructure qui a servi à réinstaller les réfugiés de la Seconde Guerre mondiale.
Le 19 septembre, les Nations Unies ont tenu un sommet sur les réfugiés et les migrants, à New York, dans le but de coordonner une approche internationale à la crise. Les dirigeants ont ensuite participé à un sommet sur les réfugiés coorganisé par le président Barack Obama et le premier ministre Justin Trudeau le 20 septembre.
Ce sera l’occasion de faire preuve de leadership en matière de réinstallation et de trouver des solutions. Pour y parvenir, il est important de poser les bonnes questions.
Tout d’abord, qu’entendons-nous par « réfugiés » ? Selon le sens juridique donné au terme dans les années 1950, il faut se trouver à l’extérieur de son pays d’origine pour être considéré comme un réfugié. Dans le monde, on omet ainsi 40 millions de personnes qui ont été déplacées à l’intérieur de leur propre pays et qui ne peuvent pas retourner chez elles même si elles se trouvent à l’intérieur des frontières nationales. Ce chiffre comprend des millions de Syriens ainsi que des millions d’Iraquiens, de Colombiens et d’Africains subsahariens. La communauté internationale ne possède pas de cadre d’action qui visent ces personnes ou encore les migrants qui se trouvent à l’extérieur de leur pays d’origine et qui ne sont pas considérés comme des réfugiés même s’ils doivent être réinstallés à titre humanitaire. Comment le nouveau contexte doit‑il nous servir de base pour établir un nouveau langage, voire une nouvelle loi ?
De nombreux réfugiés ne savent pas quand ils pourront retourner chez eux, peut-être même qu’ils n’y retourneront jamais. Lors de la construction des camps de réfugiés, on suppose pourtant qu’ils seront rapatriés à court terme. Ces camps deviennent plutôt des maisons permanentes, dont bon nombre ne permettent pas de vivre dans la dignité. Même ceux qui offrent des conditions minimales de sécurité et de santé, comme certains camps bien gérés en Grèce, peuvent être des endroits où l’incertitude insupportable gâche le travail et le potentiel scolaire des résidents. Comment pouvons-nous nous rapprocher d’un modèle durable de réinstallation qui permet l’intégration socioéconomique à long terme ?
Les pays qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés, dont la Turquie, le Liban, le Pakistan et l’Éthiopie, sont les plus susceptibles d’affronter une crise. Ils assument un important coût politique et financier. Lorsque des ressources gouvernementales déjà limitées sont de plus en plus sollicitées, les conditions de vie peuvent se dégrader tant pour les communautés d’accueil que pour les nouveaux arrivants. De quelle façon des pays comme le Canada, qui sont favorisés par leur situation géographique, peuvent-ils assumer une partie de la responsabilité en matière de protection qui incombe actuellement aux pays voisins ?
D’autres difficultés juridiques et administratives posent un problème distinct. Les politiques en matière de visas et de transport aérien incitent les réfugiés à renoncer aux vols commerciaux sécuritaires pour plutôt effectuer une périlleuse traversée de la Méditerranée à bord de bateaux. En Europe, les politiques et les opinions incohérentes qui visent les réfugiés ont mené au « magasinage d’asile. » Les gens se rendent aux endroits qui leur réservant un bon accueil et des possibilités – surtout en Allemagne et en Scandinavie. De plus, les restrictions qui visent l’emploi légal des migrants mènent à l’isolement économique des communautés de réfugiés, ce qui les rend plus vulnérables à la traite des personnes et à d’autres formes d’exploitation. Comment pouvons-nous créer des voies de passage sécuritaires et légales pour répondre à la demande en matière de mobilité ?
Les obstacles politiques à l’intégration persistent malgré ce que nous savons au sujet de l’investissement envers les réfugiés. Selon les travaux effectués par l’économiste Philippe Legrain, chaque euro investi dans l’accueil de réfugiés en rapporte trois. Comment pouvons-nous permettre aux réfugiés de devenir des membres productifs et engagés de leurs nouvelles collectivités après leur arrivée ?
Dans ce contexte difficile, le chef de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a affirmé qu’un « esprit d’unité [...] doit prévaloir à tout prix. » M. Grandi a raison en ce qui concerne l’élaboration de principes communs et de mesures, mais le monde a tout autant grandement besoin du leadership indépendant d’instigateurs comme l’Allemagne, qui a ouvert ses portes à des millions de réfugiés, et comme le Canada, qui permet à ses citoyens de jouer un rôle actif et unique grâce au parrainage privé. Quelles innovations provenant de pays comme l’Allemagne et le Canada peuvent être reprises ailleurs ? Comment pouvons-nous permettre l’essor de nouveaux leaders et de modèles n’ayant pas été mis à l’essai ?
Les questions ont leurs limites. Les sommets sont utiles lorsqu’ils permettent d’en poser, mais ils sont fructueux lorsqu’ils nous font passer à l’action.
Source: Globe and Mail