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Hausse du féminisme au Canada : la sénatrice Dasko

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Depuis la deuxième vague du mouvement pour l’égalité des femmes dans les années 1960, le terme « féminisme » a été, par moments, considéré avec mépris. À différentes époques, le féminisme a été jugé trop militant ou radical, a été déclaré « mort » ou a été la cible de critiques qui voulaient le remplacer entièrement par un concept plus acceptable. L’« égalisme » a souvent été offert comme une autre voie possible. Au cours des dernières décennies, les femmes ont aussi senti la nécessité de décrire leur point de vue sur l’égalité des sexes en disant : « Je ne suis pas féministe, mais… » de crainte d’être assimilées aux radicales du passé.

Le changement social est néanmoins une chose bien curieuse. À la longue, certaines croyances considérées comme marginales peuvent lentement, mais sûrement, devenir la norme. L’égalité raciale et le multiculturalisme, l’égalité des sexes, les droits des personnes de toutes les orientations sexuelles, la réconciliation avec les Autochtones : toutes ces idées ont été marginales ou considérées comme inacceptables à un moment ou à un autre. Bien qu’il reste beaucoup de travail à faire dans tous ces domaines, ces mouvements sont devenus, ou sont en voie de devenir, autant d’éléments de la culture dominante.

Le féminisme n’échappe pas à la règle.

Entre 1992 et 2001, alors que je travaillais comme sondeuse, j’ai eu l’occasion de vérifier l’attrait exercé par le féminisme auprès de Canadiens. Au fil de trois sondages d’opinions menés à l’échelle nationale, j’ai découvert que seulement un tiers des femmes environ se disaient féministes, et ce chiffre n’a pas changé au cours de la décennie. À peine plus d’un quart des hommes que j’ai interrogés se sont dit féministes en 2001. C’était la première fois que je posais la question à des hommes et, à l’époque, même ces chiffres semblaient plutôt élevés.

Revenons au présent. Lors d’un sondage d’envergure nationale que j’ai effectué en collaboration avec Environics Institute, en octobre dernier, 57 % des femmes se sont dit féministes de même que 40 % des hommes. Par rapport au sondage que j’ai fait il y a plus de deux décennies, le nombre de femmes qui se disent féministes a augmenté dans tous les groupes d’âges, surtout celles âgées de 18 à 24 ans, parmi lesquelles 70 % se considèrent comme féministes. Au total, 60 % des femmes racialisées se sont dit féministes, tout comme la majorité des femmes dans toutes les régions du pays.

Quel est le moteur de ce changement? Les valeurs concernant l’égalité des sexes sont inscrites dans nos lois et dans la Constitution depuis des décennies, et je dirais qu’elles se sont aussi répandues dans notre culture. Il suffit de penser aux nombreuses compagnies qui utilisent le thème du pouvoir des femmes pour vendre des produits de consommation (nous vient tout de suite à l’esprit la campagne publicitaire « La vraie beauté » de Dove) et aux nouveaux concepts comme celui de « Lean In ». Tout de même, ces changements remettent rarement le statu quo en question.

Le moteur le plus probable du féminisme aujourd’hui est la force soutenue d’un mouvement organisé et intersectionnel de femmes qui continue de mettre au premier plan de nos débats culturels des questions délicates et nécessaires. La Marche des femmes de 2017 compte parmi les plus vastes manifestations de l’histoire mondiale. Un grand nombre de Canadiennes y ont participé. Le mouvement #MoiAussi contre le harcèlement et la violence sexuels a aussi pris de l’ampleur plus tard cette année-là, mobilisant des femmes de tous les groupes d’âges et milieux socioéconomiques.

Le féminisme est aussi de plus en plus adopté par les gouvernements occidentaux qui veulent promouvoir plus activement l’égalité des sexes. La Suède a adopté une politique étrangère féministe en 2014, puis la France, le Luxembourg et le Mexique ont emboîté le pas. Les libéraux du Premier ministre Justin Trudeau ont aussi fréquemment mentionné le féminisme dans des déclarations politiques. Que ces gouvernements aient contribué ou non à réduire les inégalités, l’utilisation croissante de cette terminologie dans les politiques et les communications a sûrement contribué à l’intégration du féminisme.

À l’évidence, les inégalités entre les sexes persistent et le mouvement des femmes demeure nécessaire. Un grand nombre des difficultés que nous avons eues durant la pandémie de COVID‑19 trouvent leur origines dans des réalités familiales et professionnelles de longue date qui sont racialisées et sexualisées. Au premier plan des enjeux, il y a la participation des femmes au marché du travail et la nécessité d’avoir des services de garde d’enfants accessibles et abordables. Il y a toujours un écart salarial entre les hommes et les femmes, et on constate, après les élections fédérales de 2021, que seulement 30 % des parlementaires sont des femmes. Le féminisme a fait du chemin. Ce mot autrefois associé au militantisme et à l’extrémisme s’est fait une place dans le système de valeurs dominant. Par ailleurs, les jeunes femmes heureuses de se dire féministes étant nombreuses, il n’y aura pas de retour en arrière.

La sénatrice Donna Dasko représente l’Ontario au Sénat.

Une version de cet article a été publiée le le 17 janvier 2022 dans le Globe and Mail.

Depuis la deuxième vague du mouvement pour l’égalité des femmes dans les années 1960, le terme « féminisme » a été, par moments, considéré avec mépris. À différentes époques, le féminisme a été jugé trop militant ou radical, a été déclaré « mort » ou a été la cible de critiques qui voulaient le remplacer entièrement par un concept plus acceptable. L’« égalisme » a souvent été offert comme une autre voie possible. Au cours des dernières décennies, les femmes ont aussi senti la nécessité de décrire leur point de vue sur l’égalité des sexes en disant : « Je ne suis pas féministe, mais… » de crainte d’être assimilées aux radicales du passé.

Le changement social est néanmoins une chose bien curieuse. À la longue, certaines croyances considérées comme marginales peuvent lentement, mais sûrement, devenir la norme. L’égalité raciale et le multiculturalisme, l’égalité des sexes, les droits des personnes de toutes les orientations sexuelles, la réconciliation avec les Autochtones : toutes ces idées ont été marginales ou considérées comme inacceptables à un moment ou à un autre. Bien qu’il reste beaucoup de travail à faire dans tous ces domaines, ces mouvements sont devenus, ou sont en voie de devenir, autant d’éléments de la culture dominante.

Le féminisme n’échappe pas à la règle.

Entre 1992 et 2001, alors que je travaillais comme sondeuse, j’ai eu l’occasion de vérifier l’attrait exercé par le féminisme auprès de Canadiens. Au fil de trois sondages d’opinions menés à l’échelle nationale, j’ai découvert que seulement un tiers des femmes environ se disaient féministes, et ce chiffre n’a pas changé au cours de la décennie. À peine plus d’un quart des hommes que j’ai interrogés se sont dit féministes en 2001. C’était la première fois que je posais la question à des hommes et, à l’époque, même ces chiffres semblaient plutôt élevés.

Revenons au présent. Lors d’un sondage d’envergure nationale que j’ai effectué en collaboration avec Environics Institute, en octobre dernier, 57 % des femmes se sont dit féministes de même que 40 % des hommes. Par rapport au sondage que j’ai fait il y a plus de deux décennies, le nombre de femmes qui se disent féministes a augmenté dans tous les groupes d’âges, surtout celles âgées de 18 à 24 ans, parmi lesquelles 70 % se considèrent comme féministes. Au total, 60 % des femmes racialisées se sont dit féministes, tout comme la majorité des femmes dans toutes les régions du pays.

Quel est le moteur de ce changement? Les valeurs concernant l’égalité des sexes sont inscrites dans nos lois et dans la Constitution depuis des décennies, et je dirais qu’elles se sont aussi répandues dans notre culture. Il suffit de penser aux nombreuses compagnies qui utilisent le thème du pouvoir des femmes pour vendre des produits de consommation (nous vient tout de suite à l’esprit la campagne publicitaire « La vraie beauté » de Dove) et aux nouveaux concepts comme celui de « Lean In ». Tout de même, ces changements remettent rarement le statu quo en question.

Le moteur le plus probable du féminisme aujourd’hui est la force soutenue d’un mouvement organisé et intersectionnel de femmes qui continue de mettre au premier plan de nos débats culturels des questions délicates et nécessaires. La Marche des femmes de 2017 compte parmi les plus vastes manifestations de l’histoire mondiale. Un grand nombre de Canadiennes y ont participé. Le mouvement #MoiAussi contre le harcèlement et la violence sexuels a aussi pris de l’ampleur plus tard cette année-là, mobilisant des femmes de tous les groupes d’âges et milieux socioéconomiques.

Le féminisme est aussi de plus en plus adopté par les gouvernements occidentaux qui veulent promouvoir plus activement l’égalité des sexes. La Suède a adopté une politique étrangère féministe en 2014, puis la France, le Luxembourg et le Mexique ont emboîté le pas. Les libéraux du Premier ministre Justin Trudeau ont aussi fréquemment mentionné le féminisme dans des déclarations politiques. Que ces gouvernements aient contribué ou non à réduire les inégalités, l’utilisation croissante de cette terminologie dans les politiques et les communications a sûrement contribué à l’intégration du féminisme.

À l’évidence, les inégalités entre les sexes persistent et le mouvement des femmes demeure nécessaire. Un grand nombre des difficultés que nous avons eues durant la pandémie de COVID‑19 trouvent leur origines dans des réalités familiales et professionnelles de longue date qui sont racialisées et sexualisées. Au premier plan des enjeux, il y a la participation des femmes au marché du travail et la nécessité d’avoir des services de garde d’enfants accessibles et abordables. Il y a toujours un écart salarial entre les hommes et les femmes, et on constate, après les élections fédérales de 2021, que seulement 30 % des parlementaires sont des femmes. Le féminisme a fait du chemin. Ce mot autrefois associé au militantisme et à l’extrémisme s’est fait une place dans le système de valeurs dominant. Par ailleurs, les jeunes femmes heureuses de se dire féministes étant nombreuses, il n’y aura pas de retour en arrière.

La sénatrice Donna Dasko représente l’Ontario au Sénat.

Une version de cet article a été publiée le le 17 janvier 2022 dans le Globe and Mail.

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