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Le milieu juridique doit comprendre la vérité sur l’histoire autochtone du Canada pour aller de l’avant : sénateur Sinclair

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J’ai terminé mes études en droit en 1979, et je me suis lancé dans une profession qui en savait très peu sur l’histoire, la culture et l’expérience des peuples autochtones au Canada.

Peu de temps après, j’ai eu envie d’abandonner la pratique. J’étais désillusionné par le peu d’intérêt dont faisaient preuve mes collègues à l’égard de l’histoire des Autochtones, fâché de voir que tant de mes frères et sœurs autochtones se voyaient refuser l’accès à une véritable justice et offensé par un système juridique qui discriminait systématiquement ma communauté.

À l’époque, selon l’article 141 de la Loi sur les Indiens, les peuples autochtones n’avaient pas le droit d’embaucher un avocat pour défendre leurs revendications territoriales, une mesure qui dans les faits les empêchait de faire respecter leurs droits. Tout avocat qui contrevenait à cette interdiction en donnant des conseils juridiques à un Autochtone risquait d’être radié ou emprisonné.

Par conséquent, la primauté du droit — le principe qui a motivé mes études — favorisait le système au détriment des peuples autochtones.

Malgré les tiraillements, je n’ai pas quitté le milieu juridique. J’ai préféré l’utiliser pour lutter de l’intérieur. J’ai ainsi consacré ma carrière juridique à rendre justice aux peuples autochtones. J’ai pratiqué le droit à Winnipeg pendant neuf ans, puis j’ai été juge pendant 25 ans au Manitoba avant d’être nommé au Sénat, en 2016.

Mon rôle le plus important a été celui de président de la Commission de vérité et réconciliation. La Commission a d’ailleurs conclu que le gouvernement avait commis un génocide culturel en enlevant de force des enfants autochtones à leurs parents et à leurs communautés dans le but premier d’éliminer la culture et l’identité autochtones.

Depuis la fin de la Commission, je me suis dévoué à éduquer les Canadiens sur la vérité entourant les pensionnats autochtones et l’importance de la réconciliation. Au cours des quatre dernières années, j’ai sillonné le pays afin de m’assurer que les Canadiens connaissent leur histoire, car même si je crois que c’est l’éducation qui nous a plongés dans ce marasme, c’est aussi elle qui nous permettra d’en sortir.

Il est particulièrement important pour le milieu juridique d’amorcer son cheminement vers la réconciliation. C’est pourquoi la Commission a demandé à la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada de s’assurer que leurs avocats suivent une formation sur la compétence culturelle, et aux facultés de droit de rendre obligatoire pour tous leurs étudiants un cours sur les peuples autochtones et la loi.

Dans le cadre de mes déplacements à travers le pays, je demande souvent à des avocats s’ils ont lu le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, ou à tout le moins son résumé.

La plupart ne l’ont pas fait.

Pourtant, les législateurs, les juges et les avocats sont les gardiens du système judiciaire. Tant qu’ils ne reconnaîtront pas la vérité sur notre histoire et leur rôle à l’égard du changement, notre pays ne pourra pas aller de l’avant.

Malgré tout, certains progrès sont réalisés.

Récemment, j’ai parlé à des avocats et à des gens d’affaires au cabinet d’avocats national McCarthy Tétrault. J’ai été impressionné par la volonté de ce cabinet à prendre des mesures proactives pour être mieux informé au sujet de la réconciliation. 

L’une de ces mesures a été l’embauche d’une agente d’inclusion, un poste dédié à la création d’un milieu de travail inclusif. Sous sa direction, le cabinet a mis sur pied un programme pour favoriser la réconciliation. Cela comprend le recrutement de plus d’avocats et d’employés autochtones, le soutien des employés et des clients autochtones sur le plan culturel, l’investissement dans les communautés autochtones, le bénévolat auprès d’organisations autochtones, l’offre de services juridiques gratuits à des Autochtones et le soutien des artistes autochtones afin de préserver leur culture.

Bien sûr, comme l’a affirmé le chef de la direction, ce n’est qu’un début. Ce type d’efforts concrets vont amorcer le processus de guérison et rétablir la confiance dont nous avons besoin pour aller de l’avant ensemble.

Lorsque je parle aux gens de la réconciliation, je leur demande souvent de sortir leurs cellulaires et de trouver une photo d’un enfant qu’ils aiment. Je leur demande ensuite de la montrer à leur voisin et de lui raconter une anecdote à son sujet.

Puis, je leur demande de supprimer la photo.

Évidemment, ils ne peuvent s’y résigner. Et en vrai, je ne veux pas qu’ils le fassent non plus. 

C’est tout de même le premier pas à faire vers la réconciliation, c’est‑à‑dire comprendre la gravité de ce qui est arrivé à nos enfants. Il faut d’abord saisir comment la loi est venue déchirer nos familles et traumatiser toute une population et les générations qui l’ont suivie.  

Je compte continuer de parcourir le pays afin de diffuser ce message et favoriser cette compréhension aussi longtemps que je le pourrai.


Avis aux lecteurs : L’honorable Murray Sinclair a pris sa retraite du Sénat du Canada en janvier 2021. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

Cet article a été publié le 14 novembre 2019 dans le journal The Globe and Mail (en anglais seulement).

J’ai terminé mes études en droit en 1979, et je me suis lancé dans une profession qui en savait très peu sur l’histoire, la culture et l’expérience des peuples autochtones au Canada.

Peu de temps après, j’ai eu envie d’abandonner la pratique. J’étais désillusionné par le peu d’intérêt dont faisaient preuve mes collègues à l’égard de l’histoire des Autochtones, fâché de voir que tant de mes frères et sœurs autochtones se voyaient refuser l’accès à une véritable justice et offensé par un système juridique qui discriminait systématiquement ma communauté.

À l’époque, selon l’article 141 de la Loi sur les Indiens, les peuples autochtones n’avaient pas le droit d’embaucher un avocat pour défendre leurs revendications territoriales, une mesure qui dans les faits les empêchait de faire respecter leurs droits. Tout avocat qui contrevenait à cette interdiction en donnant des conseils juridiques à un Autochtone risquait d’être radié ou emprisonné.

Par conséquent, la primauté du droit — le principe qui a motivé mes études — favorisait le système au détriment des peuples autochtones.

Malgré les tiraillements, je n’ai pas quitté le milieu juridique. J’ai préféré l’utiliser pour lutter de l’intérieur. J’ai ainsi consacré ma carrière juridique à rendre justice aux peuples autochtones. J’ai pratiqué le droit à Winnipeg pendant neuf ans, puis j’ai été juge pendant 25 ans au Manitoba avant d’être nommé au Sénat, en 2016.

Mon rôle le plus important a été celui de président de la Commission de vérité et réconciliation. La Commission a d’ailleurs conclu que le gouvernement avait commis un génocide culturel en enlevant de force des enfants autochtones à leurs parents et à leurs communautés dans le but premier d’éliminer la culture et l’identité autochtones.

Depuis la fin de la Commission, je me suis dévoué à éduquer les Canadiens sur la vérité entourant les pensionnats autochtones et l’importance de la réconciliation. Au cours des quatre dernières années, j’ai sillonné le pays afin de m’assurer que les Canadiens connaissent leur histoire, car même si je crois que c’est l’éducation qui nous a plongés dans ce marasme, c’est aussi elle qui nous permettra d’en sortir.

Il est particulièrement important pour le milieu juridique d’amorcer son cheminement vers la réconciliation. C’est pourquoi la Commission a demandé à la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada de s’assurer que leurs avocats suivent une formation sur la compétence culturelle, et aux facultés de droit de rendre obligatoire pour tous leurs étudiants un cours sur les peuples autochtones et la loi.

Dans le cadre de mes déplacements à travers le pays, je demande souvent à des avocats s’ils ont lu le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, ou à tout le moins son résumé.

La plupart ne l’ont pas fait.

Pourtant, les législateurs, les juges et les avocats sont les gardiens du système judiciaire. Tant qu’ils ne reconnaîtront pas la vérité sur notre histoire et leur rôle à l’égard du changement, notre pays ne pourra pas aller de l’avant.

Malgré tout, certains progrès sont réalisés.

Récemment, j’ai parlé à des avocats et à des gens d’affaires au cabinet d’avocats national McCarthy Tétrault. J’ai été impressionné par la volonté de ce cabinet à prendre des mesures proactives pour être mieux informé au sujet de la réconciliation. 

L’une de ces mesures a été l’embauche d’une agente d’inclusion, un poste dédié à la création d’un milieu de travail inclusif. Sous sa direction, le cabinet a mis sur pied un programme pour favoriser la réconciliation. Cela comprend le recrutement de plus d’avocats et d’employés autochtones, le soutien des employés et des clients autochtones sur le plan culturel, l’investissement dans les communautés autochtones, le bénévolat auprès d’organisations autochtones, l’offre de services juridiques gratuits à des Autochtones et le soutien des artistes autochtones afin de préserver leur culture.

Bien sûr, comme l’a affirmé le chef de la direction, ce n’est qu’un début. Ce type d’efforts concrets vont amorcer le processus de guérison et rétablir la confiance dont nous avons besoin pour aller de l’avant ensemble.

Lorsque je parle aux gens de la réconciliation, je leur demande souvent de sortir leurs cellulaires et de trouver une photo d’un enfant qu’ils aiment. Je leur demande ensuite de la montrer à leur voisin et de lui raconter une anecdote à son sujet.

Puis, je leur demande de supprimer la photo.

Évidemment, ils ne peuvent s’y résigner. Et en vrai, je ne veux pas qu’ils le fassent non plus. 

C’est tout de même le premier pas à faire vers la réconciliation, c’est‑à‑dire comprendre la gravité de ce qui est arrivé à nos enfants. Il faut d’abord saisir comment la loi est venue déchirer nos familles et traumatiser toute une population et les générations qui l’ont suivie.  

Je compte continuer de parcourir le pays afin de diffuser ce message et favoriser cette compréhension aussi longtemps que je le pourrai.


Avis aux lecteurs : L’honorable Murray Sinclair a pris sa retraite du Sénat du Canada en janvier 2021. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

Cet article a été publié le 14 novembre 2019 dans le journal The Globe and Mail (en anglais seulement).

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