Le Canada est parvenu à un règlement avec Omar Khadr pour respecter l’État de droit : Sénatrice Jaffer
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Au cours de la dernière semaine, le règlement d’une somme de 10,5 millions de dollars versée à Omar Khadr par le gouvernement fédéral a suscité beaucoup de discussion.
Le débat fait toujours rage quant aux gestes posés par M. Khadr en 2002 et aux souffrances qu’il a endurées au cours de sa décennie de détention à la prison américaine de Guantanamo Bay.
En 2002, M. Khadr, un jeune de 15 ans né au Canada, était un enfant soldat. Amené en Afghanistan par son père pour lutter au nom du groupe terroriste Al-Qaïda, il a été capturé en juillet de la même année à la suite d’une fusillade avec des soldats américains qui a tué un infirmier et blessé un soldat. Il a ensuite été incarcéré au camp de détention de Guantanamo Bay, où il a été torturé.
En 2010, M. Khadr a plaidé coupable à cinq accusations de crimes de guerre, dont celui de meurtre – un plaidoyer qu’il a plus tard rétracté parce que sa confession aurait été faite sous la contrainte. En 2013, il a été transféré à une prison d’Edmonton. Libéré sous caution en 2015, il fait appel de sa condamnation pour crimes de guerre.
Mais dans tout ce débat, on ne peut nier un fait : Omar Khadr a été torturé en violation de la Charte canadienne des droits et libertés et du droit international, et le Canada s’est rendu complice en l’interrogeant et en le transférant aux mains de ses gardiens étrangers, au lieu de chercher à le libérer.
La Cour suprême du Canada a confirmé ce fait, jugeant clairement que le Canada a violé l’État de droit en vertu de la Charte et qu’il s’est rendu complice des États‑Unis en enfreignant le droit international.
D’ailleurs, la Cour suprême a rendu cette décision sur cette même question à trois reprises !
Dans sa décision rendue en 2010, la Cour est même allée jusqu’à dire que la conduite des fonctionnaires canadiens « contrevient aux normes canadiennes les plus élémentaires quant aux traitements à accorder aux suspects adolescents détenus » lorsqu’ils l’ont interrogé dans le but de transmettre l’information à ses gardiens, au lieu de chercher à le libérer.
En versant 10,5 millions de dollars à M. Khadr, le gouvernement a pris une décision stratégique, fondée sur le risque. La question de savoir si les droits de M. Khadr avaient été violés a déjà été réglée par les tribunaux; il ne restait plus qu’à savoir ce que le Canada devrait payer en guise de compensation. Voilà sur quoi portait la poursuite. Elle ne portait pas sur ce que M. Khadr a fait, mais sur l’indemnité que devrait payer le Canada pour avoir violé ses droits.
Au moment du règlement, M. Khadr demandait une indemnisation de 20 millions de dollars. De plus, le gouvernement avait déjà dépensé 5 millions de dollars en frais juridiques dans cette cause. En concluant un règlement avec M. Khadr, le gouvernement a évité la très grande probabilité de devoir débourser beaucoup plus en défendant cette affaire devant les tribunaux.
La décision du gouvernement de conclure une entente est également un geste très important pour montrer son respect envers l’État de droit et les tribunaux. Lorsque le Canada a envoyé ses fonctionnaires à la prison de Guantanamo Bay en 2003 et en 2004, il aurait dû veiller au respect des droits de M. Khadr en tant que citoyen canadien. Mais les fonctionnaires ont plutôt tenté de lui extirper plus de preuves au profit des mêmes gens qui violaient ses droits et le torturaient.
Afin de restaurer l’État de droit, le Canada a dû indemniser M. Khadr pour avoir négligé de protéger ses droits.
Selon les critiques du règlement, ce dernier est inacceptable parce que M. Khadr a plaidé coupable à une accusation de meurtre à son propre procès et qu’un tribunal de l’Utah a jugé que M. Khadr devait payer une indemnité à la veuve du Sgt Speer, l’infirmier qu’il a tué. Par contre, ces critiques manquent deux faits importants. Premièrement, la Cour suprême a tranché que le procès de M. Khadr n’était pas un procès en bonne et due forme. En fait, les spécialistes croient que M. Khadr a été contraint de plaider coupable car il croyait que c’était la seule façon de quitter Guantanamo Bay, où il serait soumis à d’autres actes de torture, possiblement pour le reste de sa vie.
Deuxièmement, les actions de M. Khadr ne changent rien au fait qu’il est un citoyen canadien. Le Canada avait l’obligation de protéger ses droits en vertu de la Charte et du droit international. L’État de droit ne nous permet pas de choisir qui nous protégeons. Tous les Canadiens ont droit à une procédure équitable et au respect de leurs droits humains, peu importe qui ils sont et ce qu’ils ont fait.
Mon ancien collègue sénateur, le lieutenant‑général à la retraite Roméo Dallaire, l’exprime bien lorsqu’il dit que « le Canada était – et reste – un pays qui défend avec éloquence de nouvelles normes mondiales depuis les 20 dernières années, des normes qui établissent des protections pour les enfants soldats. Il dirige des initiatives pour mettre fin à la terrible pratique mondiale qui consiste à entraîner des enfants dans la guerre. Pourtant, lorsque le Canada a été confronté à ce premier exemple d’un Canadien, l’un de ses enfants, qui avait besoin d’aide, il l’a abandonné. »
Nous devons nous élever au‑dessus du discours haineux et reconnaître ce règlement pour ce qu’il est : un retour de l’État de droit au Canada et une leçon qui nous enseigne à ne plus jamais l’enfreindre.
La sénatrice Mobina Jaffer représente la Colombie‑Britannique. Elle est vice-présidente du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense et présidente du Sous-comité sénatorial des anciens combattants.
Cet article a été publié le 21 juillet 2017 dans le journal the Vancouver Sun (en anglais seulement).
Au cours de la dernière semaine, le règlement d’une somme de 10,5 millions de dollars versée à Omar Khadr par le gouvernement fédéral a suscité beaucoup de discussion.
Le débat fait toujours rage quant aux gestes posés par M. Khadr en 2002 et aux souffrances qu’il a endurées au cours de sa décennie de détention à la prison américaine de Guantanamo Bay.
En 2002, M. Khadr, un jeune de 15 ans né au Canada, était un enfant soldat. Amené en Afghanistan par son père pour lutter au nom du groupe terroriste Al-Qaïda, il a été capturé en juillet de la même année à la suite d’une fusillade avec des soldats américains qui a tué un infirmier et blessé un soldat. Il a ensuite été incarcéré au camp de détention de Guantanamo Bay, où il a été torturé.
En 2010, M. Khadr a plaidé coupable à cinq accusations de crimes de guerre, dont celui de meurtre – un plaidoyer qu’il a plus tard rétracté parce que sa confession aurait été faite sous la contrainte. En 2013, il a été transféré à une prison d’Edmonton. Libéré sous caution en 2015, il fait appel de sa condamnation pour crimes de guerre.
Mais dans tout ce débat, on ne peut nier un fait : Omar Khadr a été torturé en violation de la Charte canadienne des droits et libertés et du droit international, et le Canada s’est rendu complice en l’interrogeant et en le transférant aux mains de ses gardiens étrangers, au lieu de chercher à le libérer.
La Cour suprême du Canada a confirmé ce fait, jugeant clairement que le Canada a violé l’État de droit en vertu de la Charte et qu’il s’est rendu complice des États‑Unis en enfreignant le droit international.
D’ailleurs, la Cour suprême a rendu cette décision sur cette même question à trois reprises !
Dans sa décision rendue en 2010, la Cour est même allée jusqu’à dire que la conduite des fonctionnaires canadiens « contrevient aux normes canadiennes les plus élémentaires quant aux traitements à accorder aux suspects adolescents détenus » lorsqu’ils l’ont interrogé dans le but de transmettre l’information à ses gardiens, au lieu de chercher à le libérer.
En versant 10,5 millions de dollars à M. Khadr, le gouvernement a pris une décision stratégique, fondée sur le risque. La question de savoir si les droits de M. Khadr avaient été violés a déjà été réglée par les tribunaux; il ne restait plus qu’à savoir ce que le Canada devrait payer en guise de compensation. Voilà sur quoi portait la poursuite. Elle ne portait pas sur ce que M. Khadr a fait, mais sur l’indemnité que devrait payer le Canada pour avoir violé ses droits.
Au moment du règlement, M. Khadr demandait une indemnisation de 20 millions de dollars. De plus, le gouvernement avait déjà dépensé 5 millions de dollars en frais juridiques dans cette cause. En concluant un règlement avec M. Khadr, le gouvernement a évité la très grande probabilité de devoir débourser beaucoup plus en défendant cette affaire devant les tribunaux.
La décision du gouvernement de conclure une entente est également un geste très important pour montrer son respect envers l’État de droit et les tribunaux. Lorsque le Canada a envoyé ses fonctionnaires à la prison de Guantanamo Bay en 2003 et en 2004, il aurait dû veiller au respect des droits de M. Khadr en tant que citoyen canadien. Mais les fonctionnaires ont plutôt tenté de lui extirper plus de preuves au profit des mêmes gens qui violaient ses droits et le torturaient.
Afin de restaurer l’État de droit, le Canada a dû indemniser M. Khadr pour avoir négligé de protéger ses droits.
Selon les critiques du règlement, ce dernier est inacceptable parce que M. Khadr a plaidé coupable à une accusation de meurtre à son propre procès et qu’un tribunal de l’Utah a jugé que M. Khadr devait payer une indemnité à la veuve du Sgt Speer, l’infirmier qu’il a tué. Par contre, ces critiques manquent deux faits importants. Premièrement, la Cour suprême a tranché que le procès de M. Khadr n’était pas un procès en bonne et due forme. En fait, les spécialistes croient que M. Khadr a été contraint de plaider coupable car il croyait que c’était la seule façon de quitter Guantanamo Bay, où il serait soumis à d’autres actes de torture, possiblement pour le reste de sa vie.
Deuxièmement, les actions de M. Khadr ne changent rien au fait qu’il est un citoyen canadien. Le Canada avait l’obligation de protéger ses droits en vertu de la Charte et du droit international. L’État de droit ne nous permet pas de choisir qui nous protégeons. Tous les Canadiens ont droit à une procédure équitable et au respect de leurs droits humains, peu importe qui ils sont et ce qu’ils ont fait.
Mon ancien collègue sénateur, le lieutenant‑général à la retraite Roméo Dallaire, l’exprime bien lorsqu’il dit que « le Canada était – et reste – un pays qui défend avec éloquence de nouvelles normes mondiales depuis les 20 dernières années, des normes qui établissent des protections pour les enfants soldats. Il dirige des initiatives pour mettre fin à la terrible pratique mondiale qui consiste à entraîner des enfants dans la guerre. Pourtant, lorsque le Canada a été confronté à ce premier exemple d’un Canadien, l’un de ses enfants, qui avait besoin d’aide, il l’a abandonné. »
Nous devons nous élever au‑dessus du discours haineux et reconnaître ce règlement pour ce qu’il est : un retour de l’État de droit au Canada et une leçon qui nous enseigne à ne plus jamais l’enfreindre.
La sénatrice Mobina Jaffer représente la Colombie‑Britannique. Elle est vice-présidente du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense et présidente du Sous-comité sénatorial des anciens combattants.
Cet article a été publié le 21 juillet 2017 dans le journal the Vancouver Sun (en anglais seulement).