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S’affranchir de la Loi sur les Indiens : Sénateur Christmas

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La vie, dit-on, résulte souvent d'un choc intéressant entre le hasard et l’ironie — un mélange fascinant de fortunes et de destins, dont les résultats sont parfois surprenants. Cela m’est revenu en tête récemment, à l’occasion de mon premier discours au Sénat. 

La Confédération aussi est empreinte d’ironie : il y a 150 ans, quatre gouvernements coloniaux s’unissaient pour former un nouveau pays. Trois de ces gouvernements coloniaux se trouvaient sur des terres mi’kmaq. Nos terres, dans la région de Gaspé du Bas-Canada, dans le Nord du Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, ont formé une grande partie du nouveau Dominion du Canada.

Le hasard fait que la Nation mi’kmaq joue un rôle majeur dans la naissance du Canada. L’ironie pour notre nation est que nous n’y avons pas participé, que nous n’avons jamais été consultés ni invités à prendre part à la formation de ce nouveau pays qu’était le Canada. C’est d’autant plus ironique que la Proclamation royale de 1763 — une déclaration juridique faite au nom du souverain britannique — promettait que nos terres ne nous seraient pas enlevées sans notre consentement.

Voilà qu’aujourd’hui, 150 ans après la Confédération, la boucle est bouclée : le Canada a pris l’initiative d’accueillir le premier sénateur mi’kmaq dans la Chambre haute de son Parlement. Il est bon d’être ici. Il est juste que la Nation mi’kmaq soit enfin accueillie au sein de la Confédération.

Pour la Nation mi’kmaq, pendant l’époque qui précédait la Confédération, nos traités de paix et d’amitié reposaient sur le fondement d’un partenariat entre égaux et du respect mutuel. Cette époque a toutefois pris fin en 1876, quand le Parlement a adopté la Loi sur les Indiens. Le partenariat et le respect font place à un régime de dépossession de nos terres, de génocide culturel et d’asservissement, puis, en définitive, à une culture de dépendance à l’égard du gouvernement fédéral pour notre simple survie.

En 1887, le premier ministre John A. Macdonald a déclaré que « l’objectif central de notre loi a été d’en finir avec le système tribal et d’assimiler totalement les Indiens au reste de la population du Dominion aussi rapidement qu’ils peuvent changer. »

Pour parvenir à une réconciliation véritable, nous devons reconnaître la vérité et ses leçons parfois douloureuses puisque que la tension pénible de la vérité peut constituer le ressort qui saura nous propulser vers un avenir meilleur.

Or, un avenir meilleur c’est précisément ce que nous avons bâti dans ma communauté de Membertou. Il y a à peine 20 ans, cependant, une Membertou bien différente était assujettie à la désespérance de la Loi sur les Indiens.

De 1976 à 1981, j’ai été l’administrateur de la bande de Membertou, une petite équipe composée de quelques employés. Des agents des Affaires indiennes supervisaient littéralement et de manière absolue les moindres aspects de nos opérations.

Nous étions privés de tout développement économique, de toute perspective d’emploi. Sans espoir. Sans avenir. La Loi sur les Indiens était un modèle de dépendance quasi absolue dans lequel la totalité de votre existence reposait sur les paiements d’Affaires indiennes et du Nord Canada.

Au début des années 1980, nous avons tenté de travailler avec le gouvernement fédéral sur l’établissement de programmes d’affaires pour les Premières Nations. Selon son étude de faisabilité, l’activité économique la plus prometteuse était la fabrication de tuyaux d’irrigation pour l’agriculture.

Des dépenses d’un million de dollars et un chiffre d’affaires nul nous ont presque portés à la faillite. Nous avions même du mal à verser les prestations d’assistance sociale. Dès 1994, à sec et lourdement endettés, nous étions cuits — complètement fichus.

Le régime de la Loi sur les Indiens avait plongé Membertou dans un désastre financier. 

Notre chef, Terrence Paul, a alors décidé qu’il devait agir maintenant et il a pris les choses en main.

C’est alors que Bernd Christmas est entré en jeu, le premier avocat mi’kmaq admis au barreau au Canada, qui avait grandi à Membertou. Ce jeune homme a dirigé, à l’époque, un cabinet prospère sur Bay Street à Toronto, au cœur de la profession de juriste au Canada. 

Le chef Terry est parvenu à convaincre cet avocat aisé d’abandonner une pratique florissante et bien rémunérée pour revenir à Membertou afin de remettre de l’ordre dans nos finances à titre de nouveau directeur des opérations. 

Membertou a pris la décision bien arrêtée de se détacher de la Loi sur les Indiens. Cette loi coloniale, normative, paternaliste, destructive, raciste et discriminatoire avait laissé tomber la Nation mi’kmaq. Nous avons donc décidé de la laisser tomber à notre tour.

Jamais plus nous n’allions demander à quiconque la permission en ce qui concernait notre propre avenir.

Nous avons décidé de créer nos propres entreprises, de gagner notre propre argent et d’être nos propres patrons. Une fois nos dettes remboursées, nous nous sommes lancés dans l’industrie du jeu. Nous avons étendu nos activités à la pêche commerciale, puis nous avons mis nos liquidités au service de l’établissement de notre crédibilité sur le marché.

En 2001, nous sommes devenus la première communauté autochtone au monde à obtenir la certification ISO 9001. La norme internationale ISO 9001 codifie les bonnes pratiques de gestion et de vérification.

Cette certification nous a permis d’instaurer la confiance dans la marque Membertou et de poursuivre notre progression. Nous pouvions compter sur un leadership solide, une marque réputée, certaines ressources financières et une volonté hors du commun de réussir dans des entreprises dirigées au départ par et pour la communauté et ce, avec passion et ardeur. 

C’est au grand dam des fonctionnaires des Affaires indiennes que nous avons procédé ainsi, eux qui ne cessaient de nous mettre en garde : ne faites pas ça. Nous avons obstinément fait la sourde oreille, à chaque fois.

Fait ironique, l’essor de nos entreprises a coïncidé avec le naufrage de l’économie locale. Avec un effectif d’environ 500 personnes, nous sommes maintenant le troisième employeur de la région. Notre localité est la seule de la municipalité régionale du Cap-Breton dont l’économie est en croissance. 

Nous avons fait mieux que survivre : nous avons prospéré.

De cette expérience est née ma vision d’une relation de nation à nation entre le Canada et les peuples autochtones. Il faut absolument que la relation actuelle change. Ses assises doivent être les notions d’autonomie autochtone, d’indépendance économique et de génération durable de revenus de source autonome.

Ainsi les peuples autochtones prendront leur envol et leurs activités économiques contribueront au produit intérieur brut du Canada.

L’expérience de Membertou démontre que la prospérité pour la génération actuelle — et son atteinte par la génération actuelle — est un objectif réaliste.


Daniel Christmas est un sénateur mi’kmaq qui représente la Nouvelle-Écosse. Il est membre du Comité sénatorial des peuples autochtones.

Cet article est paru le 26 août 2017 dans le Chronicle Herald (en anglais seulement).

Avis aux lecteurs : L’honorable Doug Black a pris sa retraite du Sénat du Canada en janvier 2023. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

La vie, dit-on, résulte souvent d'un choc intéressant entre le hasard et l’ironie — un mélange fascinant de fortunes et de destins, dont les résultats sont parfois surprenants. Cela m’est revenu en tête récemment, à l’occasion de mon premier discours au Sénat. 

La Confédération aussi est empreinte d’ironie : il y a 150 ans, quatre gouvernements coloniaux s’unissaient pour former un nouveau pays. Trois de ces gouvernements coloniaux se trouvaient sur des terres mi’kmaq. Nos terres, dans la région de Gaspé du Bas-Canada, dans le Nord du Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, ont formé une grande partie du nouveau Dominion du Canada.

Le hasard fait que la Nation mi’kmaq joue un rôle majeur dans la naissance du Canada. L’ironie pour notre nation est que nous n’y avons pas participé, que nous n’avons jamais été consultés ni invités à prendre part à la formation de ce nouveau pays qu’était le Canada. C’est d’autant plus ironique que la Proclamation royale de 1763 — une déclaration juridique faite au nom du souverain britannique — promettait que nos terres ne nous seraient pas enlevées sans notre consentement.

Voilà qu’aujourd’hui, 150 ans après la Confédération, la boucle est bouclée : le Canada a pris l’initiative d’accueillir le premier sénateur mi’kmaq dans la Chambre haute de son Parlement. Il est bon d’être ici. Il est juste que la Nation mi’kmaq soit enfin accueillie au sein de la Confédération.

Pour la Nation mi’kmaq, pendant l’époque qui précédait la Confédération, nos traités de paix et d’amitié reposaient sur le fondement d’un partenariat entre égaux et du respect mutuel. Cette époque a toutefois pris fin en 1876, quand le Parlement a adopté la Loi sur les Indiens. Le partenariat et le respect font place à un régime de dépossession de nos terres, de génocide culturel et d’asservissement, puis, en définitive, à une culture de dépendance à l’égard du gouvernement fédéral pour notre simple survie.

En 1887, le premier ministre John A. Macdonald a déclaré que « l’objectif central de notre loi a été d’en finir avec le système tribal et d’assimiler totalement les Indiens au reste de la population du Dominion aussi rapidement qu’ils peuvent changer. »

Pour parvenir à une réconciliation véritable, nous devons reconnaître la vérité et ses leçons parfois douloureuses puisque que la tension pénible de la vérité peut constituer le ressort qui saura nous propulser vers un avenir meilleur.

Or, un avenir meilleur c’est précisément ce que nous avons bâti dans ma communauté de Membertou. Il y a à peine 20 ans, cependant, une Membertou bien différente était assujettie à la désespérance de la Loi sur les Indiens.

De 1976 à 1981, j’ai été l’administrateur de la bande de Membertou, une petite équipe composée de quelques employés. Des agents des Affaires indiennes supervisaient littéralement et de manière absolue les moindres aspects de nos opérations.

Nous étions privés de tout développement économique, de toute perspective d’emploi. Sans espoir. Sans avenir. La Loi sur les Indiens était un modèle de dépendance quasi absolue dans lequel la totalité de votre existence reposait sur les paiements d’Affaires indiennes et du Nord Canada.

Au début des années 1980, nous avons tenté de travailler avec le gouvernement fédéral sur l’établissement de programmes d’affaires pour les Premières Nations. Selon son étude de faisabilité, l’activité économique la plus prometteuse était la fabrication de tuyaux d’irrigation pour l’agriculture.

Des dépenses d’un million de dollars et un chiffre d’affaires nul nous ont presque portés à la faillite. Nous avions même du mal à verser les prestations d’assistance sociale. Dès 1994, à sec et lourdement endettés, nous étions cuits — complètement fichus.

Le régime de la Loi sur les Indiens avait plongé Membertou dans un désastre financier. 

Notre chef, Terrence Paul, a alors décidé qu’il devait agir maintenant et il a pris les choses en main.

C’est alors que Bernd Christmas est entré en jeu, le premier avocat mi’kmaq admis au barreau au Canada, qui avait grandi à Membertou. Ce jeune homme a dirigé, à l’époque, un cabinet prospère sur Bay Street à Toronto, au cœur de la profession de juriste au Canada. 

Le chef Terry est parvenu à convaincre cet avocat aisé d’abandonner une pratique florissante et bien rémunérée pour revenir à Membertou afin de remettre de l’ordre dans nos finances à titre de nouveau directeur des opérations. 

Membertou a pris la décision bien arrêtée de se détacher de la Loi sur les Indiens. Cette loi coloniale, normative, paternaliste, destructive, raciste et discriminatoire avait laissé tomber la Nation mi’kmaq. Nous avons donc décidé de la laisser tomber à notre tour.

Jamais plus nous n’allions demander à quiconque la permission en ce qui concernait notre propre avenir.

Nous avons décidé de créer nos propres entreprises, de gagner notre propre argent et d’être nos propres patrons. Une fois nos dettes remboursées, nous nous sommes lancés dans l’industrie du jeu. Nous avons étendu nos activités à la pêche commerciale, puis nous avons mis nos liquidités au service de l’établissement de notre crédibilité sur le marché.

En 2001, nous sommes devenus la première communauté autochtone au monde à obtenir la certification ISO 9001. La norme internationale ISO 9001 codifie les bonnes pratiques de gestion et de vérification.

Cette certification nous a permis d’instaurer la confiance dans la marque Membertou et de poursuivre notre progression. Nous pouvions compter sur un leadership solide, une marque réputée, certaines ressources financières et une volonté hors du commun de réussir dans des entreprises dirigées au départ par et pour la communauté et ce, avec passion et ardeur. 

C’est au grand dam des fonctionnaires des Affaires indiennes que nous avons procédé ainsi, eux qui ne cessaient de nous mettre en garde : ne faites pas ça. Nous avons obstinément fait la sourde oreille, à chaque fois.

Fait ironique, l’essor de nos entreprises a coïncidé avec le naufrage de l’économie locale. Avec un effectif d’environ 500 personnes, nous sommes maintenant le troisième employeur de la région. Notre localité est la seule de la municipalité régionale du Cap-Breton dont l’économie est en croissance. 

Nous avons fait mieux que survivre : nous avons prospéré.

De cette expérience est née ma vision d’une relation de nation à nation entre le Canada et les peuples autochtones. Il faut absolument que la relation actuelle change. Ses assises doivent être les notions d’autonomie autochtone, d’indépendance économique et de génération durable de revenus de source autonome.

Ainsi les peuples autochtones prendront leur envol et leurs activités économiques contribueront au produit intérieur brut du Canada.

L’expérience de Membertou démontre que la prospérité pour la génération actuelle — et son atteinte par la génération actuelle — est un objectif réaliste.


Daniel Christmas est un sénateur mi’kmaq qui représente la Nouvelle-Écosse. Il est membre du Comité sénatorial des peuples autochtones.

Cet article est paru le 26 août 2017 dans le Chronicle Herald (en anglais seulement).

Avis aux lecteurs : L’honorable Doug Black a pris sa retraite du Sénat du Canada en janvier 2023. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

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