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Les prisons perpétuent-elles les problèmes qu’elles sont censées résoudre? : sénatrice Bernard

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Environ 15 000 détenus purgent une peine dans le système carcéral canadien. Nous payons de 115 000 $ à 200 000 $ pour chaque détenu à chaque année pour les garder incarcérés.

La plupart ont grandi dans la pauvreté, nombre d’entre eux ont des problèmes de santé mentale liés à des expériences traumatisantes complexes. Les taux de prisonniers racialisés sont démesurément élevés. Plus d’un détenu sur quatre – et plus d’une femme incarcérée sur trois – est Autochtone; près d’un détenu sur 10 est de race noire.

Ils ont aussi une autre chose en commun : la plupart d’entre eux seront un jour libérés.

Cependant, seront-ils réadaptés et prêts à réintégrer la société? Selon les experts, non seulement l’isolement cellulaire et d’autres pratiques correctionnelles appliquées au sein des établissements carcéraux se sont révélés inefficaces, mais ils ne respectent pas la Charte canadienne des droits et libertés.

Nous devons donc nous demander si le mandat des établissements de réadapter les détenus est accompli – ou si nous vouons trop souvent les détenus à l’échec.

Le Comité sénatorial des droits de la personne étudie les droits de la personne des détenus depuis février 2017. Ce travail a amené les sénateurs dans les pénitenciers fédéraux partout au Canada. Nous avons visité l’atelier de soudage à Collins Bay, où les détenus fabriquent les cages des navettes utilisées pour les amener à la cour ou à un autre établissement, et la salle de couture à Joliette, où les détenues fabriquent des sous-vêtements pour des hommes incarcérés dans d’autres établissements fédéraux pour moins de 6 $ par jour.

Nous avons rencontré des gens qui purgent des peines, nous avons interviewé des membres du personnel de la direction, des agents des services correctionnels et des membres du personnel, et nous avons participé à des audiences publiques. Ils nous ont parlé de ce qui se passe dans le système carcéral et de ce qu’il faut faire pour garantir le respect des droits de la personne.

Le comité a publié un rapport provisoire en février 2019 pour faire part de ce que nous avons entendu et résumer les écarts qu’il faudra étudier davantage. Malheureusement, nous n’avons pas reçu la permission de nous réunir cet été pour terminer le rapport.

Il faut absolument que nous puissions terminer cette étude. Le gouvernement fédéral nous a donné encore plus de motivation, maintenant que le projet de loi C‑83 a été adopté.

Le projet de loi prétend mettre fin à la pratique de l’isolement cellulaire, mais ce n’est pas le cas, ce qui nous laisse craindre, ainsi que bon nombre d’experts, qu’il est probablement inconstitutionnel.

Le projet de loi C‑83 continue d’isoler les détenus dans ce qui a été rebaptisé une « unité d’intervention structurée ». Même si les détenus sont censés passer quatre heures à l’extérieur de leur cellule, il n’y a aucune garantie que ce temps leur permettra d’avoir des contacts humains réels. 

Le projet de loi permet aussi que les détenus soient maintenus indéfiniment en isolement, tant qu’un « suivi continu » de leur état de santé est effectué.

Y a-t-il lieu de se demander ce qu’en penseront les tribunaux?

Dans sa décision de mars 2019 (en anglais seulement), la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré inconstitutionnel l’isolement de plus de 15 jours d’un détenu, un isolement préventif prolongé occasionnant des préjudices prévisibles et éventuels qui pourraient être permanents.

Selon la décision, la surveillance ne permet que de détecter le préjudice une fois qu’il a été subi – elle ne fait rien pour le prévenir.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a été tout aussi claire dans une décision (en anglais seulement) rendue trois jours après l’adoption du projet de loi C‑83. La Cour a souligné que, plutôt que de préparer les détenus à réintégrer la population générale, les occasions d’isolement prolongées ont l’effet inverse.

Cela aurait pu être évité.

La Chambre des communes a rejeté les amendements proposés par le Sénat qui auraient pu faire une différence importante dans la vie des détenus, notamment la proposition d’exiger l’autorisation d’un juge pour tout isolement de plus de 48 heures et la proposition que les détenus puissent demander que leurs peines soient revues dans les cas où les pratiques carcérales ne respectent pas la loi.

L’objectif que prévoit la loi pour le système carcéral fédéral est d’appliquer les peines en assurant aux détenus des « conditions de vie sûres, sécuritaires et humaines » et de favoriser leur réadaptation et leur réintégration dans la société.

Au lieu de cela, le système permet ce que les tribunaux ont condamné comme un traitement cruel et inhumain qui touche de façon disproportionnée les minorités et qui, bien trop souvent, empire leur situation après leur arrivée.

Voilà pourquoi il est important que le comité termine son étude et qu’il fournisse des recommandations qui visent à assurer que les établissements carcéraux accomplissent leur mandat et qu’ils satisfassent à leurs obligations constitutionnelles.

 

La sénatrice Wanda Thomas Bernard est la présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Elle a rédigé le présent article au nom des sénatrices Jane Cordy, Kim Pate, Yvonne Boyer et Nancy Hartling, ses collègues du comité.

Cet article a été publié le 28 juillet 2019 dans le journal Toronto Star (en anglais seulement).

Environ 15 000 détenus purgent une peine dans le système carcéral canadien. Nous payons de 115 000 $ à 200 000 $ pour chaque détenu à chaque année pour les garder incarcérés.

La plupart ont grandi dans la pauvreté, nombre d’entre eux ont des problèmes de santé mentale liés à des expériences traumatisantes complexes. Les taux de prisonniers racialisés sont démesurément élevés. Plus d’un détenu sur quatre – et plus d’une femme incarcérée sur trois – est Autochtone; près d’un détenu sur 10 est de race noire.

Ils ont aussi une autre chose en commun : la plupart d’entre eux seront un jour libérés.

Cependant, seront-ils réadaptés et prêts à réintégrer la société? Selon les experts, non seulement l’isolement cellulaire et d’autres pratiques correctionnelles appliquées au sein des établissements carcéraux se sont révélés inefficaces, mais ils ne respectent pas la Charte canadienne des droits et libertés.

Nous devons donc nous demander si le mandat des établissements de réadapter les détenus est accompli – ou si nous vouons trop souvent les détenus à l’échec.

Le Comité sénatorial des droits de la personne étudie les droits de la personne des détenus depuis février 2017. Ce travail a amené les sénateurs dans les pénitenciers fédéraux partout au Canada. Nous avons visité l’atelier de soudage à Collins Bay, où les détenus fabriquent les cages des navettes utilisées pour les amener à la cour ou à un autre établissement, et la salle de couture à Joliette, où les détenues fabriquent des sous-vêtements pour des hommes incarcérés dans d’autres établissements fédéraux pour moins de 6 $ par jour.

Nous avons rencontré des gens qui purgent des peines, nous avons interviewé des membres du personnel de la direction, des agents des services correctionnels et des membres du personnel, et nous avons participé à des audiences publiques. Ils nous ont parlé de ce qui se passe dans le système carcéral et de ce qu’il faut faire pour garantir le respect des droits de la personne.

Le comité a publié un rapport provisoire en février 2019 pour faire part de ce que nous avons entendu et résumer les écarts qu’il faudra étudier davantage. Malheureusement, nous n’avons pas reçu la permission de nous réunir cet été pour terminer le rapport.

Il faut absolument que nous puissions terminer cette étude. Le gouvernement fédéral nous a donné encore plus de motivation, maintenant que le projet de loi C‑83 a été adopté.

Le projet de loi prétend mettre fin à la pratique de l’isolement cellulaire, mais ce n’est pas le cas, ce qui nous laisse craindre, ainsi que bon nombre d’experts, qu’il est probablement inconstitutionnel.

Le projet de loi C‑83 continue d’isoler les détenus dans ce qui a été rebaptisé une « unité d’intervention structurée ». Même si les détenus sont censés passer quatre heures à l’extérieur de leur cellule, il n’y a aucune garantie que ce temps leur permettra d’avoir des contacts humains réels. 

Le projet de loi permet aussi que les détenus soient maintenus indéfiniment en isolement, tant qu’un « suivi continu » de leur état de santé est effectué.

Y a-t-il lieu de se demander ce qu’en penseront les tribunaux?

Dans sa décision de mars 2019 (en anglais seulement), la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré inconstitutionnel l’isolement de plus de 15 jours d’un détenu, un isolement préventif prolongé occasionnant des préjudices prévisibles et éventuels qui pourraient être permanents.

Selon la décision, la surveillance ne permet que de détecter le préjudice une fois qu’il a été subi – elle ne fait rien pour le prévenir.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a été tout aussi claire dans une décision (en anglais seulement) rendue trois jours après l’adoption du projet de loi C‑83. La Cour a souligné que, plutôt que de préparer les détenus à réintégrer la population générale, les occasions d’isolement prolongées ont l’effet inverse.

Cela aurait pu être évité.

La Chambre des communes a rejeté les amendements proposés par le Sénat qui auraient pu faire une différence importante dans la vie des détenus, notamment la proposition d’exiger l’autorisation d’un juge pour tout isolement de plus de 48 heures et la proposition que les détenus puissent demander que leurs peines soient revues dans les cas où les pratiques carcérales ne respectent pas la loi.

L’objectif que prévoit la loi pour le système carcéral fédéral est d’appliquer les peines en assurant aux détenus des « conditions de vie sûres, sécuritaires et humaines » et de favoriser leur réadaptation et leur réintégration dans la société.

Au lieu de cela, le système permet ce que les tribunaux ont condamné comme un traitement cruel et inhumain qui touche de façon disproportionnée les minorités et qui, bien trop souvent, empire leur situation après leur arrivée.

Voilà pourquoi il est important que le comité termine son étude et qu’il fournisse des recommandations qui visent à assurer que les établissements carcéraux accomplissent leur mandat et qu’ils satisfassent à leurs obligations constitutionnelles.

 

La sénatrice Wanda Thomas Bernard est la présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Elle a rédigé le présent article au nom des sénatrices Jane Cordy, Kim Pate, Yvonne Boyer et Nancy Hartling, ses collègues du comité.

Cet article a été publié le 28 juillet 2019 dans le journal Toronto Star (en anglais seulement).

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